Lorsque l’on connaît le riche patrimoine maritime de Brest, comment ne pas s’interroger sur les raisons de l’abandon de la filiaire des constructions navales au profit d’horizons lointains situés sur les bords de la Baltique.
Un beau matin de 2006, je décidais donc de prendre la route pour la Pologne, et de pousser mon « Ford Transit » jusqu’aux portes des chantiers navals de Gdansk qui étaient devenus en ce début du XXIème siècle, le Nouvel Eldorado des appétits industriels, d’une Europe en pleine mutation.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour exprimer ce billet d’humeur ?
Je n’avais pas de blog en 2006 et peu de brestois, il est vrai, ne s’intéressaient à l’époque au sort du Plateau des Capucins, encore moins à son devenir.
Aujourd’hui, le chantier des Capucins est sous les feux des projecteurs Brestois.
Aussi, avant que ne soient aseptisés à jamais ces lieux chargés d’histoires ouvrières, j’ai trouvé opportun de présenter ce voyage comme un hommage à ces hommes aux caractères bien trempés, comme l’acier qu’ils savaient si bien travailler.
Cette page est donc dédiée aux Felix, Louis, Jean et tous les autres « manuels aux mains d’Or » que j’ai pu rencontrer au cours de mes déambulations photographiques. Qu’ils retrouvent à travers ces images, les traces du digne passé de leurs vies actives, faites de sueurs, de labeur et de combats syndicaux.
A chacun son pèlerinage
La traversée d’une grand partie de l’Europe était un objectif que je m’étais fixé depuis longtemps, lorsque j’apprenais les premiers accords de constructions navales entre l’Arsenal de Brest et les chantiers Polonais.
Le plateau des Capucins fait partie de mon histoire professionnelle passée et je pensais que, curiosité aidant et l’heure de la retraite venue, voyager vers Gdansk, cela n’était pas plus idiot que de marcher vers Compostelle.
Ce voyage me permettrait peut-être de comprendre le pourquoi du déclin de notre industrie locale.
Serions-nous si mauvais que cela, pour abandonner notre savoir faire ?
En route donc vers l’Est, nous passerons saluer la ville de Longwy, autre région devenue désert industriel, région métallurgique qui pourtant avait fourni tant d’acier à nos industries navales.
Voici ce qu’il restait en juin 2006 de son dernier haut fourneau.
Sous toutes les latitudes, l’homme confronté au chômage et à la délocalisation crie son désespoir, son indignation. La traversée de notre territoire porte hélas beaucoup d’autres stigmates de ces renoncements industriels.
Gdansk, de décor côté salon.
Après 2300 km, de routes souvent défoncées en Ex RDA et en Pologne, je commençais à comprendre les raisons du grand troc.
La liberté de circuler dans ces pays, jadis fermés aux touristes, se métamorphosait au fil des kilomètres, en pensée nouvelle : “Le libre échange”.
Gdansk autrefois appelée Dantzig, ville symbole du déclenchement de la Deuxième Guerre Mondiale est une ville qui semble, à première vue, rayonnante aux touristes que nous sommes.
Son centre ville historique, fortement imprégné de la période Art Nouveau est plaisante à visiter.
Gdansk, le grand troc …
Le démantèlement du bloc de l’Est et les années 80 avec les luttes syndicales incarnées par Solidarnosc et Lech Valesa marqueront le début d’une redistribution des « cartes industrielles » impactant fortement la Construction Navale française.
Brest sera le grand perdant d’un troc, basé sur les équilibres de Paix, rendus nécessaires pour la construction d’une Europe en pleine mutation. Les structures de beaucoup de navires seront désormais réalisées en Pologne.
Dans ces chantiers seront construits en 2006, jusqu’à 10 à 15 grands navires par an (pétroliers, coques hybrides pour des navires du secteur civil ou militaire).
Une nouvelle ère de la « Navale » commence.
Les chantiers français démantèlent leur capital industriel, sous prétexte, entre autres, de vétusté des équipements. Paradoxe, certaines machines outils jugées obsolètes en Bretagne, déménageront vers la Baltique. Est-ce à dire que c’est l’ouvrier brestois qui serait à présent, devenu incompétent ? « inadapté » ?
Vers un nouveau concept de création. Les bateaux sont construits tels des « Légos », c’est à dire en morceaux que l’on appelle « anneaux », puis ils seront assemblés par soudage.
Gdansk, l’envers du décor.
La Pologne s’ouvrait aux nouveaux marchés européens et notre modèle de société de consommation s’exportera ici très bien, pourtant …
Au nom du profit, s’exporte aussi un modèle moins enviable …
Au pied de ces immeubles collectifs, vestiges des cités ouvrières d’une autre ère, la pollution est présente partout.
Autour de ces canalisations, à ciel ouvert, les enveloppes éventrées laissent échapper leurs calorifugeages d’amiante, bourrés de poussières assassines.

Peut-on mesurer le nombre potentiel de cancers de la plèvre dont sera porteuse cette pollution, dans les prochaines années ? Les ouvriers de la navale brestoise en connaissent déjà le coût.
La population ouvrière qui vit dans ces cités est peut être encore aujourd’hui dans l’ignorance des conséquences désastreuses que cette amiante représente pour sa santé.
Retour aux Capucins
Quels changements opérés depuis 2012 lorsque les locaux vacants de toute activité industrielle n’étaient pas encore laissés aux mains des nouveaux architectes du temple.
Pour un ouvrier, qui durant toute une vie, fera union avec « sa machine », la perte de son outil de travail est considérée comme une douloureuse séparation.
Lorsque cet outil part dans d’autres mains, pour faire le même travail en exploitant un frère, il le vit comme une « trahison ».
Cette page est dédiée à tous les Félix, les Jean, les Louis, de Brest et de Navarre qui se reconnaitront à travers ces expériences de vie. Ce besoin de transmettre leurs expériences reste le meilleur rempart contre l’oubli.
Ils m’ont parlé de leurs moteurs, de leurs tours, verticaux ou parallèles, de leurs outils, avec un tel enthousiame que je comprends un peu mieux à présent ce que veut dire « avoir de la Classe … », surtout lorsque celle ci est ouvrière.
Alors que les pays occidentaux, poussés par les multinationales s’apprêtent dans les prochains jours à se redistribuer les richesses de la planète, sous couvert des accords TAFTA, il ne reste souvent à l’individu, réduit à un rôle d’observateur, que les murs des friches industrielles pour exprimer sa douleur.
Puissent les nouveaux architectes et décideurs de l’avenir de ces lieux, ne pas gommer du Plateau des Capucins, cette fierté ouvrière. Encore un paradoxe de notre société bien pensante, prompte à faire l’éloge du travail manuel tout en sacrifiant les emplois.
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Rendez-vous dans quelques semaines pour un prochain sujet …
Merci Paul
merci pour ce billet
et bon W E Gérard
C’est aussi ton histoire … merci également à toi pour l’organisation de ces rencontres.