Il y a, dans les jardins de l’hôpital des Armées de Brest, jadis connu des vieux brestois sous l’appellation inaltérable d’Hôpital Maritime, un bien étrange arbre qui a ravivé en moi quelques souvenirs de jeunesse au point de m’inspirer l’écriture d’un poème.
En cette période de commémoration de l’arrivée des troupes américaines à Brest en 1917, et de l’aspect festif de l’entrée probable du Jazz en Europe, on ne peut oublier que les ravages des guerres trouvent souvent leurs prolongements, et pour trop longtemps encore, dans les périodes de paix qui s’en suivent. Il est des cicatrices qui ne se referment jamais.
Moins connus des Brestois, les bombardements de Brest, lors de la seconde guerre mondiale, ont laissé quelques traces dans l’historique jardin botanique de l’institution hospitalière. Un Camélia Japonica porte en effet toujours les stigmates des bombes. Il paraitrait même que quelques éclats d’obus séjournent encore dans la chair lacérée de ce tronc difforme et de ses branches noueuses.
En contemplant cet arbre, je me suis souvenu du visage d’un jeune adolescent que j’avais rencontré dans ce même jardin, à la fin du siècle dernier. Son statut de blessé de guerre m’avait surpris et ému car il était si jeune et la guerre était finie depuis bien longtemps. L’innocente victime avait été blessée après avoir joué dans un vieux blockhaus dans lequel subsistaient encore des munitions cachées de la seconde guerre mondiale. De 1917 aux années 2017 l’humanité hélas n’a pas beaucoup évoluée dans ses entreprises guerrières.
En écho à cet arbre blessé et au souvenir de cette jeunesse volée, cette photo témoigne combien les jardins publics ou d’hôpitaux sont précieux, car ils restent des havres de paix réparateurs pour tous les cassés de la terre.
Gueule cassée
Je suis comme toi, arbre blessé
Un peu dur de la feuille, défiguré
Dans le silence obscur d’une terre ravagée
Mes racines profondes s’accrochent à leur passé
Je suis comme toi, être meurtri
A l’écorce lacérée de mille et mille débris
Mes bras en lambeaux ne porteront plus l’outil
Quand ton bois, pour mes jambes, servira de béquilles
Je suis comme toi, enfant de la nature
Privé d’espaces libres, prisonnier de clôtures
Observant en silence d’innommables tortures
Recherchant dans ce jardin, à panser mes blessures
Je suis comme toi, plante endommagée
Au physique effrayant chancelant sur son pied
Résistant cependant, à la vie accroché
Puisant dans cette terre l’énergie espérée.
Je suis comme toi, incarnation vivante
Du combat pour la vie,
Aspirant au bonheur simple d’exister
Même si je dois rester, à jamais, une Gueule Cassée.
Note : Ce texte avait été spécialement écrit à l’occasion de la visite théâtralisée des jardins de l’Hôpital des Armées de Brest, dans le cadre
des Journées du Patrimoine de septembre 2014.
Voir ici l’article qui lui fut consacré.