Balade de phare en phare (4)

Le 1er janvier 1929, Daniel était à nouveau désigné pour une autre affectation. Direction, cette fois, le phare de l’île voisine, Batz.

Phare des années 50

Phare de l’île en 2016

Même si cette nouvelle destination est considérée dans le monde des gardiens de phares comme celle du purgatoire ce sera pour lui, enfin le paradis. Une maison d’habitation plus grande, une vie sociale moins monastique, des voisins, un jardin, le bonheur.
Enfin la liberté retrouvée autour d’une famille réunie, car la vie à l’île Noire, peu propice à la scolarité des enfants, avait un temps dispersé la fratrie.
Mais l’île de Batz est une terre accueillante et bien qu’exposée sur la côte nord du Finistère, sur son versant sud le climat y est plus doux. Ici, dès le printemps venu, la végétation offre, pour le plaisir des yeux, des jardins aux parfums coloniaux. Beaucoup de plantes en effet ont été rapportées de contrées lointaines, le marin breton est grand voyageur.

Pas étonnant donc que, les beaux jours installés, l’île devenait la proie des visiteurs et le phare la cible de toutes les curiosités. Famille, amis, parfois même des touristes fortunés, en manque d’exotisme. Dans le premier article de cette série j’évoquais le séjour de Henri Lartigue. Les congés payés n’existaient pas encore et ces séjours n’étaient réservés qu’à une poignée de privilégiés. Le phare reste encore à notre époque un aimant irrésistible qui attire les amoureux de lieux insolites.

  

(Photos -Gauche le phare en 1930- Droite des touristes à l’entrée du phare en 1931)

Un jour, échappant à la surveillance de ses aînés, la petite Yvette, qui marchait à peine, prise d’aventure et de grands espaces, entreprit d’escalader seule les cent quatre vingt dix huit marches du phare, haut d’une quarantaine de mètres.
Heureusement que le père était présent dans la lanterne, occupé à quelques travaux d’entretien. Que serait-il arrivé, si au terme de son escalade à quatre pattes gravissant marche par marche la tour infernale, elle avait trouvé porte close ?
Probablement attirée par les bruits de la maintenance paternelle, et faisant preuve d’une détermination précoce, l’intrépide atteignit le but recherché.
Les yeux ébahis du père, stationné quelques mètres plus haut en apercevant son rejeton au pied des dernières marches qui mènent à la lanterne, déclenchaient chez la fugueuse un sourire contagieux. Daniel saisit l’enfant dans ses bras, la hissa délicatement au centre du mécanisme. Accompagnant la tourelle dans un geste complice, il transforma pour un instant, la lanterne magique en manège féérique.
Cette anecdote me fut confiée par l’intéressée elle même, un après midi d’automne, alors que nous passions en revue quelques photos égarées au fin fond d’un tiroir de vieux buffet familial.

   

Mais la vie dans un phare, même au paradis, n’est pas une sinécure. Les gardiens de feux ne sont pas de simples veilleurs oisifs qui passent leur temps à contempler la mer et l’horizon. Leur tache essentielle est dévolue à la surveillance, à l’entretien du phare, à la maintenance de ses infrastructures. Il y a dans les phares les plus mythiques, un espace réservé au passage de l’Ingénieur. Vieille tradition maritime héritée des temps reculés où les tournées d’inspections étaient légions. Véritable temple dans le temple, cette pièce, à la fois chambre et bureau, au parquet ciré et aux cuivres rutilants, est interdite d’accès aux communs des mortels. Privilège de la noblesse des lieux et de la fonction, elle n’était fréquentée que par le gardien de garde qui veillait à son entretien et à “Mr l’ingénieur” lorsque celui-ci, de passage, y séjournait le temps d’une inspection.
Mais les dangers de la fonction sont nombreux, par les conditions de vie bien sûr, les humeurs de la mer, mais aussi par la manutention de produits dangereux : huiles, pétrole, mercure, amiante, autant de substances dont les poussières et les vapeurs toxiques rongent les organismes les plus résistants.

Comme les gens simples et besogneux qui n’ont jamais appris à se plaindre, un matin de septembre 1932, Daniel s’éteindra, avec son dernier feux, il n’avait que 39 ans.
Comme un malheur n’arrive jamais seul, paraît-il, la crise financière de 1929 avait déjà plongé l’humanité dans l’obscurité et de nouveaux bruits de bottes résonnaient du coté de la Germanie.
C’est donc seule, avec ses trois enfants, que Jeanne à présent devait continuer son chemin et s’éloigner à jamais de la lumière des phares. Mais ceci est une prochaine histoire.
(à suivre …)

Article précédent : Balade de phare en phare (3)

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