Louisiane (6)- Natchez, porte du Blues

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Un coucher de soleil romantique, sur cette petite ville du Mississippi, marquera notre incursion en terre du blues.
Située à 150 km au nord de Baton Rouge, c’est ici que vécurent, entre autres, BB King, John Lee Hooker, Elvis Presley, c’est peu dire.

Natchez-HW81Ville mythique au départ de la célèbre Hyway 61 en direction de Memphis et de Nashville cette cité, comme tant d’autres, reste un haut lieu de la musique du blues qui fut tant influencée par les racines des peuples en souffrance. Ici s’arrêtera notre montée vers le nord du pays, gardant d’autres découvertes de l’Amérique pour de prochains voyages. Mais revenons à Natchez. Cette ville, colonisée par les Espagnols, les Anglais puis les Français, deviendra Américaine en 1768. Entre La Nouvelle Orléans, Baton Rouge , Saint Francisville et Natchez, longeant le Missippi, fleuve nourricier de ce vaste état de Louisiane qui a son origine s’étendait des grands lacs du nord au golfe du Mexique, notre route prendra le chemin des plantations de coton, de tabac, de café, de riz.

Si les chemins drainent les touristes vers ces superbes plantations, que l’on visite souvent au prix excessif de quelques poignées de dollars, très peu de sites se gardent d’aborder la douloureuse question qui dérange, celle de l’esclavage.

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Laura Plantation, plantation de canne à sucre entre la Nouvelle Orléans et Baton Rouge

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Okley Plantation, près de St Francisville est une ancienne plantation de coton, plus connue probablement de nos jours pour célébrer la collection de peintures de l’artiste peintre américain James Audubon, reconnu pour son œuvre « Birds of America ».

Dunleik-NatchezCertes, ces belles demeures luxueusement mises en valeur, font rêver par leur beauté, comme cette dernière à Natchez, la Dunleith Plantation, au style architectural Greek revival, reconnaissable à ses imposantes colonnes.
Très bien restaurées, admirablement bien meublées, aux jardins bien entretenus.
Toutefois, en visiter deux ou trois n’apporte rien de plus à la connaissance historique de ces périodes fastes de production de coton ou de canne à sucre. Ces belles propriétés servent maintenant de décors pour des films ou de gîtes pour personnes fortunées. Car je garde un arrière goût amer par ces visites tronquées, toutes acquises à la gloire de colons blancs dont la réussite aux accents « One man self » est si souvent mise en avant sur cette terre, dite Promise.
On en oublie hélas les damnés de la terre, victimes du sordide commerce triangulaire, mis en place et entretenu hélas par notre « Siècle des Lumières », venu d’Europe. Triste épisode de l’humanité, soit disant éclairée, qui au nom de sa bonne conscience considérait « l’homme noir » comme une simple marchandise.
Que de fortunes indécentes ont été bâties par ces humbles asservis, torturés de cadences de travail épuisantes, à en perdre la vie ou la raison.
Le Blues vient de là. Il vient de ces souffrances, si bien mises en chansons pour qui sait prendre le temps d’en écouter les paroles. Les notes de musiques rajoutées aux fils du temps à ces chants, que les esclaves entonnaient souvent « a cappella » pour accompagner leurs gestes productifs, ne sont que les édulcorants thérapeutiques permettant d’alléger les souffrances endurées.

Laurel valley Village, rappel aux mémoires embrumées …

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Peu de circuits touristiques proposent des détours authentiques.
Les traces de ces villages d’esclaves, nous avons fini par les trouver au nord de Thibodaux dans le petit village fantôme de « Laurel Village », site de mémoire sommairement conservé entre marais et champs de cannes.

Laurel-Case-4Ici c’est gratuit, mais l’espace est parait-il infecté de bêtes peu commodes comme des serpents qui, parait-il, auraient colonisé des cases abandonnées, noyées dans des hautes herbes et entourées de barbelés, pour dissuader probablement quelques intentions d’un tourisme peu attrayant.
C’est probablement mieux ainsi, pour le respect des âmes qui peut-être encore, hantent ces lieux.

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Si ce banc pouvait parler …

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De ce village il ne reste, comme témoignage, que quelques cases usées par le temps et un climat parfois hostile.  Parmi ces habitations vétustes, les vestiges d’une église d’où l’on peut encore s’imaginer qu’il s’élève la mélodie de chants Gospel réparateurs.

Laurel-PoupeeIl fait près de 40 degrés, l’air est humide. J’ai peine à imaginer ce que pouvait être la vie de ces habitants qui devaient supporter des températures aussi élevées.
Sous ces tôles ondulées et un confort précaire, les cases doivent être de véritables fournaises. Chaque case de 25 m2 environ, logeait une famille. Mais combien de personnes par famille ?  Une poupée sur le sol, devant la porte, comme simple protection, pour éloigner les esprits maléfiques.
Un peu à l’écart du village, en bordure d’un immense champ de canne, dans lequel s’enfonce encore les vestiges d’une ancienne ligne de chemin de fer, comme pour rappeler que le lieu est aussi celui de souffrances et de labeurs, une vieille grue rouillée témoigne-t-elle d’un passé révolu ?Laurel-Treuil

Travail des enfants, esclavage des temps modernes, la page se tournera-t-elle définitivement un jour ?
J’associe ces images à celles de nos usines bretonnes du siècle passé, et me remémore les paroles de ces chansons entonnées par les femmes et enfants pour se donner du courage.
« Tournez tournez petites filles, tournez autour des fabriques, bientôt vous serez dedans … »
Jacques Prévert dans la « Chanson des sardinières »

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A l’ombre des vieux chênes il y a toujours un peu de fraicheur.

Natchez, marché aux esclaves

Aux portes de Natchez, à un mile du centre ville, se trouve l’emplacement discret de ce qui fut le deuxième marché aux esclaves de Louisiane après celui de la Nouvelle Orléans.
« Forks of the road Market » est situé à l’écart de chemins touristiques, dans un quartier populaire, au croisement de deux rues d’une zone artisanale. L’endroit n’est pas évident à trouver même équipé d’un GPS.

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Natchez-Marche-EsclavesLe lieu est désert et ne semble pas attirer beaucoup de monde.
Sur cet espace de pelouse fraîchement coupée, quelques panneaux bien documentés au demeurant, rappellent dans une indifférence totale les épisodes de ce triste commerce.
Une plaque en ciment sur un bout de pelouse, retient quelques morceaux de chaines rouillées. L’endroit est si discret qu’il serait passé inaperçu si nous ne nous étions pas mis en quête de le trouver.

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« Forks of the road market », ce qui reste comme symbole d’un commerce peu glorieux.

Natchez-Business-SlaveryL’Amérique avant la Guerre de Sécession comptait une population de 41 millions d’habitants. Onze millions vivaient dans les états ségrégationnistes du sud, dont 4 millions furent des esclaves. Une petite halte pour saluer leurs mémoires s’imposait comme une évidence.

Le soleil se couche sur le Mississippi et le Natchez City Cimetary, fermant ainsi cette page romantique toute dédiée au Blues avec un petit air de « Autant en emporte le vent ».

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Avec ce sixième article sur la Louisiane, je vais refermer cette longue rubrique de blog sur la Louisiane, pour ne pas barber les fidèles lecteurs que vous êtes et changer un peu de sujet.
Mais le voyage continue pour moi et je me suis si bien pris au jeu de la rédaction, ce qui au départ était totalement imprévu, que je vais en profiter pour relire mes nombreuses notes de voyages, écouter d’autres musiques, faire quelques classements de photos et pourquoi pas rédiger au cours de l’automne ou de l’hiver, un vrai carnet de voyage plus anecdotique mais sous une autre forme plus classique celle là.

A bientôt donc pour un nouveau billet…