Le génome des “Isolés” (3)

Curieuse l’attitude en effet que celle de l’administration des phares dans ces années d’après guerre.
La der des ders avait laissé dans une France exsangue, des générations de mutilés que la nation dans sa grande générosité allait aider à retrouver le chemin de la vie en leur proposant des emplois, dits “réservés”, de gardiens ou de postiers. Gardien ce n’est pas fatiguant pensait-on là haut, dans les salons dorés. Alors les éclopés, sans jambe ou bien gazés des tranchées, se virent proposer des emplois de gardiens dans les phares ou dans les musées. Mais pour trouver un remplaçant au gardien Plouzennec l’administration des phares fut confrontée à un sérieux dilemme. S’il fut proposé, comme les directives le préconisaient, de prendre en priorité des anciens blessés de guerre, ceux-ci ne purent jamais satisfaire aux exigences des lieux, soit parce que physiquement inaptes, ils ne pouvaient y accéder, soit tout simplement parce qu’ils refusaient de s’y rendre.

Le premier candidat volontaire, ancien militaire du 2ème RIC de Brest, pensionné à 65%, qui avait pratiquement perdu l’usage de ses deux jambes, fut ligoté au dispositif de transbordement  pour tenter d’être hissé comme un vulgaire paquet sur le phare, la manœuvre trop risquée fut abandonnée. Le 31 mai 1921 un autre candidat fut nommé. Il ne prendra jamais son poste. Le 3 septembre enfin un troisième candidat classé mutilé refusa également de s’y rendre.
Il fallut donc attendre le 2 mars 1922 pour que le grand-père, jeune marié, qui avait souhaité quitter la marine marchande pour devenir, comme son frère aîné, gardien de phare, se vit à son tour proposer le poste, faisant donc exception aux règles en vigueur d’emploi réservé.

Quelle entrée en matière donc, pour le jeune Daniel Ropart, que de prendre la succession de ce pauvre gardien Plouzennec, dont la mémoire déjà venait de passer dans les méandres de l’oubli. Le Roi est mort, Vive le Roi !
L’administration ne fait pas de sentiment, son visage se cache derrière le masque impassible de la belle Marianne. Mais Marianne n’avait jamais mis les pieds à Armen, savait-elle seulement où ce phare se trouvait ?  La question probablement ne lui fut jamais posée.Tous les fonctionnaires peuvent en témoigner. Quand tu t’engages pour la nation, tu vas là où elle te nomme. Tu deviens une croix dans une case, c’est à prendre ou à laisser.

Photo prise en septembre 2017. Le phare est désormais gardé par les cormorans.

Mais c’était sans compter avec le caractère bien trempé du nouvel arrivant. La jeunesse sait bousculer les codes établis. Aussi, avec l’appui des autres gardiens en postes, dont Menou, Fouquet et Le Pape qui deviendra son ami, les revendications allaient bon train. Ainsi, forts de ces difficultés de recrutement les gardiens finirent à imposer à l’administration l’impérieuse nécessité de sécuriser le plateau du phare et quelques temps plus tard, une rambarde fut édifiée. Malgré les affres du temps il reste encore aujourd’hui quelques plots de bétons qui peuvent en témoigner, signature d’une époque révolue.
Mais la vie dans les phares n’était pas une sinécure, les tempêtes hivernales se succédaient et le 20 mai 1922 alors qu’un brouillard épais recouvrait de son manteau feutré l’océan, le paquebot Egypt, courrier des Indes qui partit d’Angleterre pour rallier Bombay, coula à 28 miles d’Armen au sud d’Ouessant, après être entré en collision avec un cargo français qui se rendait au Havre. On déplora une centaine de victimes… mais cela ne sera hélas pour le nouveau gardien que le début d’un long apprentissage.

La suite :  Le génome des Isolés (4)…
Le génome des « Isolés » (2)

2 réflexions au sujet de « Le génome des “Isolés” (3) »

  1. Bonjour Paul, Merci pour ce troisième volet duGénome des isolés, dans lequel on découvre les débuts de tongrand-père à l’ArMen.J’aime vraiment beaucoup cette histoireet ta prose m’enchante, parce que il y toujours ce souffle qui donnede la vie à tes récits !Merci pour ce partage.Je vais cependant te faire une remarqueconcernant le vocabulaire des phares.Tu écris, en légende de relève d’ungardien à Armen : Lecartahu est le système de filin permettant le transbordement entrele phare et le ravitailleur. C’est vrai, bien sûr, du moins enpartie, mais dit ainsi cela peut laisser entendre que ce mot« cartahu »soit spécifique au système de relève desphares d’Iroise, ce qui n’est pas du tout le casDe plus, la photo nous montre unerelève très particulière, effectuée depuis le baliseur immobilisédevant le phare ( il est amarré à une bouée dite « d’amarrage »,prévue à cet effet, tu peux la voir à tribord sur son avant)Le cartahu du phare n’est pas utiliséau cours de cette manœuvre, mais un « hale à bord »courant en continu entre trois poulies (deux au phare, une au mât dubateau) et un treuil à vapeur (à bord du bateau).Il est donc troublant de parler decartahu devant ce cliché.D’autant que les gens ont vraiment dumal à comprendre comment étaient utilisés les cartahu dans les 4 phares d’Iroise qui en étaient équipés. (Je n’ai pas tout lu surle sujet, loin s’en faut, mais j’ai quand même lu des dizainesd’articles et, hélas, force m’est de constater qu’aucun d’entre eux n’en parle correctement. Toute la littératureque j’ai à ce sujet est fausse à hurler, même lorsqu’il s’agitd’écrits officiels. En ce dernier cas parce que publié après ledésarmement des phares et, surtout, sans demander l’avis d’ungardien l’ayant pratiqué !) La définition du cartahu dans undictionnaire de marine est la suivante : » Cordage volant,sans affection spéciale, destiné à hisser ou amener les objetsqu’on y attache. »Dans les écoles maritime d’antan,telle celle que j’ai fréquenté, on nous expliquait que le cartahuétait le système le plus basique : une poulie, frappéequelque part en hauteur dans laquelle passe un bout’. A une extrémitédu bout’ : un homme ; à l’autre extrémité, une charge.Si tu dois t’en servir longtemps tu mets un croc à un bout et untreuil à l’autre, ça te simplifiera la vie mais ça restera uncartahu.C’est ce qu’on avait au Four, à laJument, à Kéréon et à l’ArMen. (La Vieille c’était autre choseet les Pierres Noires aussi)Ça permet donc de monter et dedescendre, c’est tout.Comme la potence soutenant la poulien’est pas assez longue pour que le bateau vienne se positionner sousla charge, on ajoute, le jour de la relève, un hale à bord. Cordagetextile frappé (noué) au dessus du croc, qui, tiré par lesmarins permettait de donner du ballant au cartahu et d’emmener ainsila charge jusque sur le pont du bateauCe hale à bord étant trop lourd pourêtre lancé directement depuis le phare aux marins, les gardienslançaient d’abord une touline…. à laquelle était relié le hale.Mais il faut retenir ceci : lecartahu monte est descend, comme le câble d’une grue, c’est tout.Et surtout, en aucun cas, on ne peutparler à ce sujet de « va-et-vient » qui est un toutautre système utilisé en sauvetage, pour évacuer un équipage d’unnavire échoué. On avait un tel matériel dans les phares d’Iroise,fourni par le Société Centrale de Sauvetage des Naufragés.Il ne pouvait fonctionner qu’entre deuxéléments fixes (un phare et un bateau échoué, ou une falaise etbateau échoué) mais en aucun cas si un des deux éléments étaitmobile.En fait il s’agissait de fixer d’abordun câble porteur,(on avait un fusil lance-amarre pour établir laliaison) raidi au maximum par un palan ; sur ce câblecoulissait une poulie soutenant une « bouée-culotte ».La poulie était manœuvrée par un cordage, soit en va-et- vientdepuis la terre (ou le phare) soit manœuvrée à chacune de sesextrémités par des hommes (à condition que ceux-ci puissentcommuniquer entre eux. J’attends avec impatience ton quatrièmevolet

    Bien amicalement LouisPSEn P.J.  Une photo de relève à la Jument . Le gardien est suspendu au cartahu, les marins le tirent à bord à l’aide du haleCi dessous: un lien vers un va-et-vient tel ceux que nous avions dans les phares en vue d’un éventuel sauvetage.;https://www.sauveteurdudunkerquois.fr/Va-et-vient-1/

    • Bonsoir Louis.
      Merci infiniment pour ces explications précises et rectificatives de mes propos. La sémantique précise en matière de phare reflète bien que j’ai encore beaucoup de travail à faire pour être un digne héritier de gardien de phare. C’est un métier, comme dirait tout ouvrier respectueux de son travail. Sur le plan technique et fonctionnel, les systèmes de levages sont si variés qu’il est parfois tentant pour un non initié de prendre quelques raccourcis de langage surtout lorsq’il s’a. En tout cas mon cher Louis, merci pour ces précisions qui une fois de plus éclairent ma lanterne…. venant d’un gardien de la part d’un gardien de phare, je ne pouvais pas être mieux coaché.

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