Né à Brest le 14 janvier 1878, au 17 de la rue Massillon, la maison où il naquit existe toujours, c’est dans cette cité du ponant que Victor Segalen passera donc une grande partie de sa scolarité avant d’intégrer l’école de Santé navale de Bordeaux et devenir médecin de marine, par défaut peut-être, lui qui rêvait d’une carrière d’officier.
Pas étonnant donc que dans les nombreuses correspondances qu’il écrira sa vie durant, plus de 1500 lettres feront l’objet de plusieurs ouvrages emblématiques de sa biographie, on y trouve des évocations de lieux connus des Brestois, la rue Foy, l’école de la rue Voltaire, la Cité d’Antin, le Cours Dajot, la rade. Même si beaucoup de ces lieux ont subi, au fil du temps, les affres des bombardements de la seconde guerre mondiale, le sillon de ses trajectoires romanesques resteront à jamais indélébiles à ceux qui aimeront lire ou relire ses recueils de « Correspondances« .
La rade de Brest et en arrière plan sur la gauche de la photo, la pointe des Espagnols en presqu’île de Crozon. Derrière les grues on devine enfin le goulet, ouverture sur l’océan Atlantique.
C’est par ces échanges épistolaires et quelques documents originaux le concernant, qui se trouvaient conservés à l’hôpital maritime de Brest que je devais faire connaissance avec ce personnage singulier.
Spécialisé en imagerie médicale, j’étais très souvent sollicité par des médecins, des chercheurs, pour illustrer par l’image leurs publications scientifiques et littéraires ou participer à leurs travaux d’expertise.
C’est donc tout naturellement que je vais à présent vous présenter un autre jardin qui a inspiré le médecin poète. Ce jardin est actuellement un jardin d’agrément après avoir été de longues années un jardin botanique dédié en partie à la culture des plantes médicinales, les simples.
De la photographie médicale à la photographie artistique il n’y a qu’un pas, qu’il est toujours plaisant de franchir. Comme Victor Segalen, beaucoup de médecins de marine sont aussi peintres, poètes, écrivains, historiens. A ce titre, en quelques années de travail, j’en ai côtoyé un certain nombre et c’était toujours un vrai plaisir de m’évader des réalités médicales lorsqu’ils m’associaient à leurs travaux pour aborder d’autres univers moins austères.
Dans l’article précédent je relatais l’existence de cabinets de curiosités ainsi que celle des jardins botaniques. L’hôpital maritime de Brest cache plusieurs pépites ignorées par bon nombre de brestois. Lieux paisibles de verdure et de calme, propices à la méditation autant qu’à la réparation des corps et des esprits, les trois terrasses principales, qui composent ce qui reste des jardins, ont vu passer au fil des siècles beaucoup d’écrivains-voyageurs, célèbres ou discrets citoyens, dont Victor Segalen.
Comme en attestent ses nombreuses correspondances, il existe toujours sur la terrasse la plus haute du jardin un espace labyrinthe, longue allée spiralée bordée de buis, décrite dans une lettre qu’il écrivit à son amie Hèlène Hilpert , le vendredi soir 4 octobre 1918 :
« Deux jours passés dans la même lumière. Deux matins de rade irréelle malgré les gros premiers plans tapageurs. La couronne verte des remparts. La porte du Devoir Hospitalier. Le devoir. Vers dix heures, l’allègement, l’évasion ; la fuite hantée vers le Jardin aux trois terrasses. Itinéraire, au plus haut du jardin, fidèlement suivi avec ses étapes douloureuses, ses étapes heureuses. Retour rapide. Grande statuaire. Au crépuscule, un dernier vers de Thibet, sortie lente aux côtés de mon Yvonne enchantée. Soir: une page d’Exotisme, la première marquée 2 octobre, 10 heures. Lectures échappant au texte, les yeux vagues, les yeux ailleurs. Ruée dans le grand sommeil d’outre-vie. Réveil étonné de n’être amer … et un nouveau jour au calendrier du réel. En vérité une suite indéfinie d’un moment rare.”
Toutes ces correspondances, empreintes de nostalgie et souvent de grande mélancolie sont autant d’invitations au voyage.
En ces journées du patrimoine 2018, durant lesquelles je publie ces quelques billets, sans nul doute que le lecteur aimera, comme j’aime encore à le faire, déambuler dans les rues de Brest et ses jardins, le regard toujours tourné vers le Goulet, cette porte ouverte depuis des temps « Immémoriaux« , sur le Monde.
Rien d’étrange donc si je vous dis à présent, qu’un beau jour d’automne, la Chine s’invita à ma table de travail … (la suite dans un prochain billet)