Brest, hommage à Victor Segalen

               Le soleil illuminait la rade de Brest, en ce soir d’automne.
Contredisant Prévert à l’adresse de Barbara, Victor Segalen rayonnait par la puissance poétique de ses textes, interprétés par de talentueux lecteurs brestois.

Soleil rasant en cette fin de soirée douce et fraiche du 3 décembre 2019.
Ambiance feutrée, intime presque. Sans nostalgie aucune, la poésie des vers et les notes de musiques confinaient l’espace discret du jardin du Cours Dajot, dans une bulle de recueillement. Les mouettes du port du Ponant avaient pour l’occasion suspendu leurs ricanements salins.

Inspirées par la mélodie polynésienne d’un Norbert en verve, s’invitant à la table, l’ombre de Gauguin et celle des Marquises planaient sur l’estacade maritime avec cette douceur du temps qui passe qui n’appartient qu’aux poètes disparus.


Cérémonie organisée par l’ASNOM (Association Amicale de Santé Navale et Outre Mer) en partenariat avec la municipalité de Brest et
l’Association Brestoise des Amis de Victor Segalen.

Dans de précédents billets, Victor Segalen fut souvent évoqué dans la cité brestoise.
Avec cette année 2019, centenaire de sa disparition, se referme une année particulièrement riche en manifestations culturelles. Gageons que la jeunesse brestoise sache perpétuer  longtemps encore sa mémoire en découvrant son œuvre.

Rencontre avec Victor Segalen (4)

Les Journées du Patrimoine 2018 nous ont, une fois encore, donné l’occasion d’évoquer la mémoire de Victor Segalen à travers une déambulation poétique qui conduira un petit public d’initiés entre sa maison natale, évoquée dans le premier article de cette série, et le jardin brestois qui porte désormais le nom du médecin-poète.
Ce petit jardin, situé près de la sous-préfecture Brestoise, borne le célèbre cours Dajot si cher à l’écrivain. Une stèle en sa mémoire fait face à la superbe rade de Brest.
Cette balade, organisée par l’Association des Amis de Victor Segalen arrive à point puisque 2019 se profilant à l’horizon, nous entrons dans l’année commémorative du centenaire de sa tragique disparition.

Menée de main de maitre par deux spécialistes de sa biographie et de son œuvre littéraire, Danielle Déniel et Gilbert Ellouet, le petit groupe de comédiens qui s’étaient déjà produits dans les jardins botaniques de l’hôpital maritime de Brest en septembre 2014 a souhaité s’associer à l’évènement pour interpréter quelques textes emblématiques de son œuvre.

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Ainsi sous un soleil typiquement brestois, furent évoqués “Correspondances” , “Stèles” et “Peintures” avec le très célèbre texte “Le tombeau de Ts’in”. Pas étonnant donc que quelques artistes chinois, résidents ou étudiants à Brest s’étaient joints pour la circonstance à cette évocation poétique.

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On ne saurait cependant terminer cette chronique sans faire un dernier détour en forêt d’Huelgoat sur les lieux où s’acheva son court mais si riche voyage, l’hôtel d’Angleterre et la stèle sur laquelle est inscrit : « Victor Segalen 1878-1919. Né à Brest. Médecin de Marine- Poète-Ecrivain. Décédé ici le 21 mai 1919 ».

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Conseils au bon voyageur
(Extrait de « Stèles »)

Ville au bout de la route et route prolongeant la ville : ne choisis donc pas l’une ou l’autre, mais l’une et l’autre bien alternées.
Montagne encerclant ton regard le rabat et le contient que la plaine ronde libère.
Aime à sauter roches et marches ; mais caresse les dalles où le pied pose bien à plat.
Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son.
Seul si tu peux, si tu sais être seul, déverse-toi parfois jusqu’à la foule.
Garde bien d’élire un asile.
Ne crois pas à la vertu d’une vertu durable : romps-la de quelque forte épice qui brûle et morde et donne un goût même à la fadeur.
Ainsi, sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peines, tu parviendras, non point, ami, au marais des joies immortelles,
Mais aux remous pleins d’ivresses du grand fleuve Diversité.

Avec la participation artistique de Yaping Tian, Ji Li, Jean-Paul Goarzin, Jean Marie Philippe et notre très discret ami peintre calligraphe.

Hommage à Victor Segalen

 

Rencontre avec Victor Segalen (2)

Né à Brest le 14 janvier 1878, au 17 de la rue Massillon, la maison où il naquit existe toujours, c’est dans cette cité du ponant que Victor Segalen passera donc une grande partie de sa scolarité avant d’intégrer l’école de Santé navale de Bordeaux et devenir médecin de marine, par défaut peut-être, lui qui rêvait d’une carrière d’officier.
Pas étonnant donc que dans les nombreuses correspondances qu’il écrira sa vie durant, plus de 1500 lettres feront l’objet de plusieurs ouvrages emblématiques de sa biographie, on y trouve des évocations de lieux connus des Brestois, la rue Foy, l’école de la rue Voltaire, la Cité d’Antin, le Cours Dajot, la rade. Même si beaucoup de ces lieux ont subi, au fil du temps, les affres des bombardements de la seconde guerre mondiale, le sillon de ses trajectoires romanesques resteront à jamais indélébiles à ceux qui aimeront lire ou relire ses recueils de « Correspondances« .

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La rade de Brest et en arrière plan sur la gauche de la photo, la pointe des Espagnols en presqu’île de Crozon. Derrière les grues on devine enfin le goulet, ouverture sur l’océan Atlantique.

C’est par ces échanges épistolaires et quelques documents originaux le concernant, qui se trouvaient conservés à l’hôpital maritime de Brest que je devais faire connaissance avec ce personnage singulier.
Spécialisé en imagerie médicale, j’étais très souvent sollicité par des médecins, des chercheurs, pour illustrer par l’image leurs publications scientifiques et littéraires ou participer à leurs travaux d’expertise.

C’est donc tout naturellement que je vais à présent vous présenter un autre jardin qui a inspiré le médecin poète. Ce jardin est actuellement un jardin d’agrément après avoir été de longues années un jardin botanique dédié en partie à la culture des plantes médicinales, les simples.

Les jardins de l’hôpital entre les deux guerres

De la photographie médicale à la photographie artistique il n’y a qu’un pas, qu’il est toujours plaisant de franchir. Comme Victor Segalen, beaucoup de médecins de marine sont aussi peintres, poètes, écrivains, historiens. A ce titre, en quelques années de travail, j’en ai côtoyé un certain nombre et c’était toujours un vrai plaisir de m’évader des réalités médicales lorsqu’ils m’associaient à leurs travaux pour aborder d’autres univers moins austères.
Dans l’article précédent je relatais l’existence de cabinets de curiosités ainsi que celle des jardins botaniques. L’hôpital maritime de Brest cache plusieurs pépites ignorées par bon nombre de brestois. Lieux paisibles de verdure et de calme, propices à la méditation autant qu’à la réparation des corps et des esprits, les trois terrasses principales, qui composent ce qui reste des jardins, ont vu passer au fil des siècles beaucoup d’écrivains-voyageurs, célèbres ou discrets citoyens, dont Victor Segalen.
Comme en attestent ses nombreuses correspondances, il existe toujours sur la terrasse la plus haute du jardin un espace labyrinthe, longue allée spiralée bordée de buis, décrite dans une lettre qu’il écrivit à son amie Hèlène Hilpert , le vendredi soir 4 octobre 1918 :
« Deux jours passés dans la même lumière. Deux matins de rade irréelle malgré les gros premiers plans tapageurs. La couronne verte des remparts. La porte du Devoir Hospitalier. Le devoir. Vers dix heures, l’allègement, l’évasion ; la fuite hantée vers le Jardin aux trois terrasses. Itinéraire, au plus haut du jardin, fidèlement suivi avec ses étapes douloureuses, ses étapes heureuses. Retour rapide. Grande statuaire. Au crépuscule, un dernier vers de Thibet, sortie lente aux côtés de mon Yvonne enchantée. Soir: une page d’Exotisme, la première marquée 2 octobre, 10 heures. Lectures échappant au texte, les yeux vagues, les yeux ailleurs. Ruée dans le grand sommeil d’outre-vie. Réveil étonné de n’être amer … et un nouveau jour au calendrier du réel. En vérité une suite indéfinie d’un moment rare.”

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Toutes ces correspondances, empreintes de nostalgie et souvent de grande mélancolie sont autant d’invitations au voyage.
En ces journées du patrimoine 2018, durant lesquelles je publie ces quelques billets, sans nul doute que le lecteur aimera, comme j’aime encore à le faire, déambuler dans les rues de Brest et ses jardins, le regard toujours tourné vers le Goulet, cette porte ouverte depuis des temps « Immémoriaux« , sur le Monde.

Rien d’étrange donc si je vous dis à présent, qu’un beau jour d’automne, la Chine s’invita à ma table de travail … (la suite dans un prochain billet)

Rencontre avec Victor Segalen (1)