Le génome des “Isolés” (1)

C’est un sentiment bien  étrange qui m’envahit ce matin, presque un mal être, comme une absence pesante.
J’aperçois au loin, une mer calme sur la rade de Brest et ce silence, imposé par un confinement contraint depuis bientôt cinquante jours, laisse à l’atmosphère du moment le champ libre aux mélodies cacophoniques des chorales d’oiseaux.
Au loin, dans le brouillard, je distingue la petite île de Trébéron, lazaret où jadis la marine Royale isolait ses marins migrants revenant de contrées lointaines, le temps d’une quarantaine. Aujourd’hui, c’est à mon tour d’être enfermé.
Nous sommes probablement nombreux sur la planète à expérimenter depuis plusieurs semaines le même rituel. Difficile en effet de savoir de quoi demain sera fait, alors on se trouve saisi d’envies soudaines, de retours en arrière. On se met à ranger, on se replonge dans l’avant, on redécouvre des trésors égarés, des souvenirs enfouis, des photos du temps passé, des vieux journaux, des carnets de notes, écrits à la hâte, pour la postérité.
Frénétiquement l’homo sapiens isolé, envahit le net. S’accrochant désespérément à cette petite fenêtre symbole de liberté, il s’empare de facebook, skype, whatsapps and so on, il passe ses journées au téléphone, il ne se laverait même plus, à en croire les journaux. Drôle d’époque, quand on se remémore que le manque d’hygiène fut par le passé, dans nos sociétés qui se disent savantes, cause de tant de mortalités.

L’histoire singulière que je vais vous raconter aujourd’hui et dans les prochains billets n’est pas une fiction mais bien le témoignage de la réalité souvent tragique de ces gardiens des mers dont la contrainte première était d’être confinés. Mais de la dureté de ces métiers disparus et peut-être aussi parce que ceux-ci étaient difficiles et pénibles, tout comme le sont ceux de nos soignants, luttant aujourd’hui d’arrache-pied pour sauver des vies, il se dégage parfois un sens insoupçonné de légèreté et de poésie : la fierté d’être utile, la belle humanité, celle d’être avant tout, au service des autres avec toujours hélas cette double solitude face aux choix que l’on doit faire, quand il s’agit de secourir.

Certes j’avais déjà, par le passé, publié beaucoup de billets de blog et de photos sur mes phares préférés d’Armen, de Tévennec, les enfers bretons et bien d’autres aussi, moins austères, ceux du paradis. Mais aujourd’hui, à mon tour contraint de rester enfermé, je me suis laissé porter par une nouvelle curiosité, celle de découvrir  plutôt que de l’imaginer, l’univers extra-ordinaire de ces hommes qu’à l’époque on appelait les “Isolés”.

Aujourd’hui, cette introspection, stimulée par le confinement prend curieusement pour moi tout son sens car j’ai peut-être enfin trouvé la vraie raison pour laquelle je m’intéresse depuis si longtemps à ces hommes silencieux que l’on appelait aussi “gardiens de feux”. Le gardien c’est rassurant non ? et le feu ça réchauffe…

Alors j’ai ressorti mon vieux microscope rouillé et je viens de découvrir, à ma grande surprise le « génome des “Isolés”, ce génome si rare, dont seuls les gardiens de phares, les vrais, sont dotés…

Alors si vous voulez me suivre, entrez. Exceptionnellement aujourd’hui
je vous ouvre les portes de l’un de mes jardins secrets.
Tout commença un jour d’octobre 1908 …

La suite …

 

Rencontre avec Victor Segalen (4)

Les Journées du Patrimoine 2018 nous ont, une fois encore, donné l’occasion d’évoquer la mémoire de Victor Segalen à travers une déambulation poétique qui conduira un petit public d’initiés entre sa maison natale, évoquée dans le premier article de cette série, et le jardin brestois qui porte désormais le nom du médecin-poète.
Ce petit jardin, situé près de la sous-préfecture Brestoise, borne le célèbre cours Dajot si cher à l’écrivain. Une stèle en sa mémoire fait face à la superbe rade de Brest.
Cette balade, organisée par l’Association des Amis de Victor Segalen arrive à point puisque 2019 se profilant à l’horizon, nous entrons dans l’année commémorative du centenaire de sa tragique disparition.

Menée de main de maitre par deux spécialistes de sa biographie et de son œuvre littéraire, Danielle Déniel et Gilbert Ellouet, le petit groupe de comédiens qui s’étaient déjà produits dans les jardins botaniques de l’hôpital maritime de Brest en septembre 2014 a souhaité s’associer à l’évènement pour interpréter quelques textes emblématiques de son œuvre.

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Ainsi sous un soleil typiquement brestois, furent évoqués “Correspondances” , “Stèles” et “Peintures” avec le très célèbre texte “Le tombeau de Ts’in”. Pas étonnant donc que quelques artistes chinois, résidents ou étudiants à Brest s’étaient joints pour la circonstance à cette évocation poétique.

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On ne saurait cependant terminer cette chronique sans faire un dernier détour en forêt d’Huelgoat sur les lieux où s’acheva son court mais si riche voyage, l’hôtel d’Angleterre et la stèle sur laquelle est inscrit : « Victor Segalen 1878-1919. Né à Brest. Médecin de Marine- Poète-Ecrivain. Décédé ici le 21 mai 1919 ».

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Conseils au bon voyageur
(Extrait de « Stèles »)

Ville au bout de la route et route prolongeant la ville : ne choisis donc pas l’une ou l’autre, mais l’une et l’autre bien alternées.
Montagne encerclant ton regard le rabat et le contient que la plaine ronde libère.
Aime à sauter roches et marches ; mais caresse les dalles où le pied pose bien à plat.
Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son.
Seul si tu peux, si tu sais être seul, déverse-toi parfois jusqu’à la foule.
Garde bien d’élire un asile.
Ne crois pas à la vertu d’une vertu durable : romps-la de quelque forte épice qui brûle et morde et donne un goût même à la fadeur.
Ainsi, sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peines, tu parviendras, non point, ami, au marais des joies immortelles,
Mais aux remous pleins d’ivresses du grand fleuve Diversité.

Avec la participation artistique de Yaping Tian, Ji Li, Jean-Paul Goarzin, Jean Marie Philippe et notre très discret ami peintre calligraphe.

Hommage à Victor Segalen

 

Naples (5)–Centre historique

Après plusieurs jours de balades intensives, une immersion dans le vieux Naples s’impose comme une évidence.
Difficile de résumer un séjour à Naples en quelques lignes, quelques images. Ce serait injustement réducteur et tout simplement impossible.
A chacun ses thèmes de prédilection, musées, histoire , arts, gastronomie, religion. Il y en a pour tous les goûts et ce n’est pas le riche passé de la cité gréco-romaine, qui a subi tant d’influences à travers son histoire, qui laissera le visiteur sur sa faim.
Naples, comme toutes les villes chargées d’histoire, demande à être vue de l’intérieur. Alors, guidés par notre instinct et l’envie de flâner, nous partons à sa rencontre en empruntant la via Tribunali qui nous conduira au Musée National d’Architecture, passage obligé de tous visiteurs.

Naples-Musee Archeologique (14)  Masque Pulcinella (2)Pièce maîtresse du Musée National d’Archéologie, le « Taureau Farnèse »
côtoie tant d’autres sculptures, aux dimensions impressionnantes …

Le vieux Naples pour se laisser surprendre …

Naples-Hotel (2)C’est aussi du linge aux fenêtres, pratiquement sur toutes les
façades des habitations …
Naples-Hotel (3)Des rappels à la dévotion à tous les coins de rue …
de la plus petite crypte ou chapelle, à l’imposant édifice.

Eglise Gesù Nuovo. Ancien palais jusqu’en 1900 ce bâtiment est désormais une église au style baroque.

Mais c’est aussi le bruit, les voitures et scooters qui circulent avec des règles de conduites anarchiques qui n’appartiennent qu’à Naples …
Et les légendaires compositions artistiques d’un « Street Art » au style peu esthétique dont s’inspirent parfois chez nous, aussi hélas, certaines corporations pour exprimer leurs colères …

Mais heureusement le regard se tourne très vite vers des lignes
de fuites plus poétiques.
Naples-Vieille ville (4)

  Naples-Vieille ville (16)   Naples-Vieille ville (26)
Enfilades infinies, puits de lumières où ombres et lumières se croisent
pour le plaisir des photographes.

Car ici, tôt ou tard, tout est Art …

Et les marchands du temple sont nombreux …

Naples-Vieille ville (22)

Culte de la dévotion oblige, et ses bibelots en terre cuite …

Naples-Vieux quartier (6)

Confections de crêches de Noël et santons, rue San Gregorio Armeno

Un rendez vous poétique avec un facteur de masques. 
Naples est aussi la ville qui s’identifie au théâtre, au rang duquel la célèbre Commedia dell’arte et son personnage emblématique de Pulcinella (petit poussin) plus connu sous nos latitudes comme le personnage de Polichinelle.
Masque Pulcinella (1)Bien sûr le quartier ne manque pas de boutiques vendant des masques de toutes sortes en terre cuite, en carton ou en plastique venus d’Asie, rien d’authentique donc, pour cet art créatif dont la fabrique en cuir, aujourd’hui, est devenue denrée rare.
J’avais, par le passé en 2009, rencontré l’un des derniers facteurs de masques dédiés à cet art des planches, mais j’avais décliné l’offre d’achat du masque qu’il se proposait de me confectionner, dissuadé par le coût élevé qu’il m’en demandait. Je ne discutais pas évidemment la justification de son travail car comme toute œuvre manuelle et artistique celle-ci a ce supplément d’âme inestimable.
Je n’étais pas très loin de son atelier et je n’aurais pas beaucoup de peine à le retrouver.

Seul, sur le pas de la porte de son atelier, il semblait n’attendre que ma visite.
Je le reconnu sans peine.
Je ne sais pas si la réciproque fut vraie, car la dernière fois j’avais du lui laisser un arrière goût amer en déclinant son offre de masque, me contentant de ne prendre de son travail que quelques photos souvenirs.

Comme tout atelier d’artiste celui-ci semble un peu désordonné.  Des chutes de pièces de cuir semblent se languir sur quelques étagères poussiéreuses. Des gouges sur un coin d’établi attendent l’inspiration du maître. Ci et là des croquis, dessins, esquisses inachevées, des affiches de théâtre aussi décorent les murs, attestant leurs gloires passées.

 

Plus loin, dans le fond de l’atelier, une presse que je devine ancienne avec ses deux boules en cuirs, tels des poings de boxeurs qui semblent me menacer. Sur l’établi un masque de Polichinelle et son moule de forme, probablement en céramique. Les yeux fermés Polichinelle fait la sieste, attendant d’être réveillé.
Aujourd’hui c’est promis, je sortirais de l’antre avec le trophée et même si je dois me ruiner.

« C’est un peu de mon cœur qui part avec vous », me dira l’artiste.

Quant au prix me direz vous ?  Polichinelle cette fois, gardera son secret .

A bientôt pour un autre sujet.