Eugène, dernier sabotier

La vie serait-elle, comme l’eau d’une rivière qui coule et que rien ne peut arrêter si ce n’est l’ultime plongeon dans l’océan, de l’éternité ?

Aujourd’hui une fois encore, hélas, je perds un compagnon de route, laissant ma frêle embarcation voguer au gré d’une navigation chancelante et de plus en plus solitaire.
Il est des personnalités qui marquent vos destinées, vous inspirent et vous motivent dans vos choix de vie, dans vos projets. Ces rencontres qui vous apaisent autant que ces absences qui vous pèsent.
J’avais fait la connaissance d’Eugène il y a bien longtemps, au siècle dernier, quelque part en Auvergne, sur une route jadis empruntée par les Compagnons du Tour de France, à l’esprit d’un terroir désert et pourtant si proche de celui des landes de ma Bretagne profonde. L’homme me parlait avec passion de son métier de sabotier, il était de ces artisans qui vivait au rythme de la nature. Avait appris le métier de son père, lui-même sabotier. Le bois, ce matériau qui même mort, me disait-il,  reste encore étrangement vivant.
Je l’avais ensuite rencontré à de nombreuses reprises, il m’accompagnait dans mes songes de projets « boiseux », guidait ma main hésitante lorsque ma gouge effleurait l’aubier. Jamais avare d’explications, toujours prêt à montrer, à partager. La transmission des savoirs-faire reste encore de nos jours pour le vrai manuel, la plus belle image de ce que l’ouvrier appelle “la connaissance”.
A mon tour, jamais rassasié d’images, l’objectif de mon appareil photo aimait à le regarder travailler. Scrutant en silence, le moindre de ses gestes pour capturer les secrets de sa dextérité. Ecoutant le tranchant de l’outil, respirant le copeau d’une essence enivrante. Silence. Oui, la photographie et l’image restent, je le pense, les meilleurs alliées de l’homme pour immortaliser la beauté du geste, l’intelligence de la main, face à l’éternité.
Que ces images voguent encore longtemps dans l’océan immatériel d’internet pour semer et transmettre simplement ce jardin du souvenir, celui de mes jours heureux.

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