Pour ne pas perdre le Nord.

Restons encore dans le domaine maritime avec cette fois l’évocation d’un langage qui ne parle qu’aux marins.
Inauguré en Juin 2012, le Conservatoire des bouées maritimes de Plouhinec (29) est un espace public ouvert, situé près de la Criée de Poulgoazec, sur la rive gauche du Goyen, face au port de pêche d’Audierne.
Bouees-PlouhinecPlusieurs bouées, retirées du service, étaient laissées à l’abandon sur différents lieux de stockages dépendants de la subdivision des Phares et Balises, comme ici au Port de Commerce de Brest près du 1er bassin.

Balises-Port de Commerce

Zone de stockage des balises retirées du service. (Brest)

C’est en 2008 que la municipalité de Plouhinec envisagea, en collaboration avec les services des Phares et Balises et sous l’impulsion de Noël Le Hénaff, de redonner vie à plusieurs de ces éléments de signalisation et de les exposer le long de cette nouvelle rue qui porte désormais le nom de cet écrivain, journaliste, photographe et homme de passions qui consacra une belle et saine énergie à la sauvegarde du patrimoine maritime et aux phares en particulier. Si Noël Le Hénaff fut l’un des acteurs majeurs de la réussite de ce beau conservatoire, initiative dont il ne verra pas, hélas, la concrétisation, son nom restera désormais attaché à cet espace de mémoire du patrimoine.

Bâbord, tribord et autres points cardinaux
Chaque balise, accompagnée d’une plaque signalétique, informe le passant sur ses caractéristiques techniques et le rôle qui lui sera attribué lors de son positionnement géographique.

Ancien phare, indiquant l’entrée du port de commerce de Brest.

Associées à la démarche pédagogique, la poésie des couleurs et des formes ajoutent à cet ensemble un petit air de “Street Art” et d’art contemporain dont il aurait été dommage de se priver.

Emblématique Gamelle…

La Gamelle, ce long banc de sable encadré de bouées, balisant l’entrée du port d’Audierne dont la simple évocation me ramène aux images des valeureux sauveteurs en mer venant secourir leurs frères de misère.
Aujourd’hui, espace de jeux pour kitesurfeurs intrépides, la Gamelle continue à faire périodiquement parler d’elle.

Les bouées, qui à l’époque signalaient ce redoutable banc de sable, représentent probablement celles qui ont le plus marqué mon imaginaire d’enfant lorsqu’en m’endormant, j’entendais au loin, leurs hurlements lugubres.

Assurément un espace d’exposition qui permettra au passant qui prendra
le temps d’y faire une petite halte, de ne point perdre le nord !

A bientôt pour un prochain billet …

 

 

Tévennec, dernière facétie.

Si le rocher de Tévennec a beaucoup nourri l’imaginaire des romanciers et de certains journalistes avides de sensations fortes, il a aussi probablement marqué de façon durable les esprits plus ordinaires des enfants et petits enfants de gardiens de phares.

Tevennec-1412Tévennec vue de l’île de Sein.

Les contes et légendes, qui berçaient jadis leur enfance, se métamorphoseront au fil des ans, en révélations plus conformes à la réalité de leur “histoire familiale”.
De cet héritage, fait de mots et d’images sublimées souvent, apparaîtra alors une vérité bien différente, plus rugueuse mais combien plus belle, car si intime.
La réalité du passé familial se trouve alors confrontée à des histoires romancées, des vérités revisitées par des mémoires imprécises. Un travail s’impose alors pour mieux transmettre le précieux héritage aux générations suivantes.
J’avais publié dans un précédant article, intitulé “Tévennec,dernière relève,la délivrance”, l’histoire de cet aïeul, gardien de phare, emporté par une lame sur le rocher de Tévennec, dans cette mythique baie des Trépassés, en terre bretonne.
J’étais alors resté sans réponse concernant le lieu d’inhumation du corps, nourrissant les hypothèses les plus improbables puisqu’en 1908, le cimetière se trouvait à l’emplacement de l’actuelle mairie de l’île de Sein, lieu à partir duquel je puisais ces  précieux renseignements.
Après quelques mois d’investigations, des recherches dans diverses archives, je devais compléter mon enquête et apprendre que le corps, dans un premier temps repêché, puis ramené sur le “caillou de Sein”, avait été, dès le lendemain, acheminé à Audierne où de bien étranges et rocambolesques obsèques furent organisées le jour de la Toussaint, c’est à dire le 1er Novembre 1908.

Un peu d’histoire, la crise sardinière des années 1900.
Le contexte historique de l’époque aidera peut être le lecteur à comprendre ce qui suit.
Nous sommes en 1908. La crise sardinière qui sévit depuis 1903 à Audierne, Douarnenez et plus généralement dans la majeure partie des ports de pêches du Finistère, plonge la population dans une profonde misère.
A la famine qui sévit, le prix du pain qui flambe, les faillites de commerces, le chômage, s’ajoute un climat social des plus tendus du fait de la loi qui se profile autour de la question religieuse. En effet, l’année 1905 sera marquée par l’adoption de la loi relative à la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
De nombreux affrontements entre partisans et adversaires accentueront les clivages sociaux sur fond de misère et de pressions cléricales.
L’irrationnel est à son paroxysme. Certains membres du clergé allant vilipender des pêcheurs peu enclin à fréquenter l’église en leur expliquant que leurs comportements seraient seuls responsables de l’abandon des bancs de sardines sur nos côtes.
Pas étonnant que le message passe mal chez ces pauvres pêcheurs et que certains voient rouge. L’aïeul Alain Marie devait être de ceux-la.
Alors viennent les temps des blasphèmes pour les uns et des réactions partisanes pour les autres qui voient dans la noyade du marin incroyant le fatal résultat d’un châtiment divin.

Rétablir une vérité.
L’article du Progrès du Finistère, en date du 7 novembre 1908 m’apporte un éclairage nouveau sur ce dramatique fait divers.

Article-Progres-Nov1908Par ailleurs, comme si le malheur n’était pas suffisant, quelques écrits et récits fantaisistes raconteront plus tard qu’à la noyade de ce Ropart (que l’on doit écrire avec un T et non un S ou un Z), s’ajouta le décès de la petite fille qui venait de naître sur l’île au moment du drame.
En réalité, la petite fille née à l’île de Sein, vécut encore 85 ans. On est donc loin de la légende.
Quant à cet ancêtre, au caractère bien  trempé, c’était aussi un « Artiste », aux dires de la famille.
A n’en pas douter à la lecture de cet article. Pour un anticlérical, finir ainsi sa vie, un jour de Fêtes des Morts et se voir contraint de passer par l’Eglise, tient de la farce théâtrale, quelle belle sortie de scène !

Ceux qui envisagent d’investir Tévennec pour le transformer en
« Résidence d’artistes » ont à présent matière à méditer.

 Tevennec-1412a

A bientôt pour de nouvelles aventures …

Précédents épisodes
Tévennec, Enfer ou « New paradise ? »
Tévennec, la dernière relève, la délivrance
De Tévennec à l’ïle Wrac’h, il n’y a qu’un pas …
Sein, une île du bout du monde
Bienvenue à Sein

 

 

 

Tévennec, dernière relève, la délivrance

C’est un rendez-vous particulier qui m’attend aujourd’hui.
Une rencontre improbable. Un saut dans le passé mais pas dans l’inconnu tant ces rendez-vous manqués, si souvent reportés, m’ont occupé l’esprit ces derniers mois.

Longtemps dans la mémoire collective, cet arrière grand-père, Allain Ropart, fut considéré comme disparu sur la roche de Tévennec, un matin d’automne 1908.
J’ai retrouvé aujourd’hui, grâce à la consultation des registres d’Etat- Civil en la Mairie de l’Ile de Sein, la preuve émouvante que son corps fut bien retrouvé et repêché.

Extrait-DC-Allain-RSur cet enregistrement on peut lire :
L’an 1908 à 8 heures du matin, ont comparu …. lesquels nous ont déclaré que hier à deux heures et demi du soir le bateau  « Petit-Joseph » de Douarnenez patron Kergaléguen a amérri au port de l’le de Sein contenant le corps d’un noyé recueilli près des rochers du Tévennec et que le premier comparant a reconnu être son père Ropart Allain…

Moment d’émotion lorsque dans le registre voisin, des naissances celui-là, à la même date, se trouve l’enregistrement de la venue au monde de sa petite fille, Yvonne.
Cette histoire n’est pas un roman, mais un fait réel.
Allain Marie était venu sur Tévennec pour remplacer son fils pendant que sa belle fille, mettait au monde à l’Ile de Sein, Yvonne.

Lame-sourde-b

La lame sourde porte bien son nom. Elle vous capture, vous enroule et vous étouffe comme une pieuvre sournoise.

Beaucoup d’ouvrages ou d’articles, ont souvent travesti cette histoire pour que je la replace aujourd’hui dans un contexte plus personnel (cf « Feux de mer » de Louis le Cunf).

« C’était la relève … » me dira le médecin de l’île, lorsque m’entretenant quelques instants avec lui sur le quai, peu avant mon départ, je lui racontais l’objet de ma visite à Sein. La petite Yvonne fut probablement la dernière gardienne du phare de Tévennec, car après 1910, il semble que l’île ne fut plus habitée. Mais Yvonne n’est plus là aujourd’hui pour en témoigner.

Une question cependant reste encore en suspend. Le corps de l’aïeul fut-il enterré sur l’île ou ramené sur le continent ?
Vaste question à laquelle il ne m’est pas encore possible de répondre, mais je m’y atèle déjà.

Cimetière-Choléra-b

Il existe un autre cimetière sur l’île, celui des cholériques. vestige de l’épidémie de choléra qui frappa la population ilienne en décembre 1885.

Curieuse coïncidence, le cimetière à l’époque se trouvait sur l’emplacement de l’actuelle Mairie. C’est à dire là où je me trouvais au moment des recherches.
Une pensée me traversait alors l’esprit. J’étais peut-être à la verticale de la sépulture de l’ancêtre ? Allez savoir.

J’ai longtemps hésité à faire part de ce témoignage familial. Mais l’article de presse dont je parlais dans mon précédent billet ( Tévennec Enfer ou « New Paradise ») me conforte dans l’idée de partager ce moment de mémoire pour saluer ces valeureux anciens.
– Nul besoin donc, pour moi, d’aller sur Tévennec pour rechercher au plus profond de ma mémoire, ma vérité.
– Nul besoin de résidence d’artiste pour trouver l’objet d’une éphémère créativité.
– Nul besoin de pulsions artificielles pour me faire peur et transcender mon univers imagé.

Les enfers de Tévennec ou d’Armen, à travers les ouvrages que j’ai pu lire depuis mon enfance, je les ai au fil du temps, apprivoisés, domptés au point de les aimer pour les respecter et ne jamais en faire des jouets.
Car depuis ces époques lointaines où les phares étaient encore gardés, entretenus par leurs occupants, j’ai entendu tant de récits d’anciens marins, gardiens de phares, ou sauveteurs en mer, pour comprendre combien ils avaient dû
souffrir, pour simplement exister et survivre.

Sein-Fev2013-bIci à Sein, la beauté des paysages ne doit pas cacher la rudesse des lieux car le « caillou », c’est ainsi qu’on le nomme ici, n’est qu’un grain de sable dans un océan Roi.

Ne pas succomber au mythe.
On ne devient pas gardien de phare par fantaisie, pour parler de soi, par poésie, mais pour apporter au monde de la mer, celle qui vous nourrit, protection et survie.
Mais les temps changent. Pour devenir bon manager à présent il faut faire des stages d’intégrations en milieu commando. Pour devenir artiste, créateur, il faut chatouiller le monde de l’extrême, se muer en aventurier, nager parmi les requins, entrer dans l’arène.  Bref, pour devenir un homme, oublions vite la poésie de Rudyard Kipling.

Les décideurs de l’époque (années 1920) avaient déjà une très grande grande méconnaissance de ces phares de l’extrême. Ne les considéraient-ils pas comme des lieux de villégiatures dorées, au point de réserver ces emplois aux grandes  « Gueules cassés de la Grande Guerre de 14 » ?

Certes il faut se mobiliser pour revaloriser le patrimoine maritime en proie à l’abandon. Transmettre aux générations futures la mémoire des anciens, qu’à notre tour nous devenons nous même, chaque jour un peu plus. Mais notre devoir n’est-il pas de transmettre ce patrimoine intact, avec dignité, pour l’histoire qu’il représente et la mémoire de ceux qui jadis l’on fait vivre et non se l’approprier, en édulcorant le décor pour des raisons parfois folkloriques, voire mercantiles ?
Penseraient-on un instant transformer d’autres lieux de souffrance de l’Humanité, en «show cases», fussent-ils culturel ?
Faut-il, pour exister,  céder aux chants des sirènes de la renommée ?
Prenons garde, que les marchands du Temple ne viennent un jour, nous mettre en bouteille les eaux amères de la baie des Trépassés, livrer une deuxième fois le corps de nos anciens au diable.

Tévennec-Fev-bL’Enfer ce n’est pas le Paradis. Tévennec, encore moins le Paradis Latin, ni le Lido. Mais j’arrête là, car je crois qu’à mon tour je deviens un peu amer.

Remerciements
C’était une belle journée de fin d’hiver, faite d’autentiques et simples rencontres.
Merci à Mr le Maire, Mme Kerloc’h, Ambroise Menou, Eric du André Colin, et tous ces inconnus du moment avec lesquels je me suis entretenu.
Merci pour leur accueil, cela sentait déjà un peu le printemps, une page s’est tournée.