C’est un rendez-vous particulier qui m’attend aujourd’hui.
Une rencontre improbable. Un saut dans le passé mais pas dans l’inconnu tant ces rendez-vous manqués, si souvent reportés, m’ont occupé l’esprit ces derniers mois.
Longtemps dans la mémoire collective, cet arrière grand-père, Allain Ropart, fut considéré comme disparu sur la roche de Tévennec, un matin d’automne 1908.
J’ai retrouvé aujourd’hui, grâce à la consultation des registres d’Etat- Civil en la Mairie de l’Ile de Sein, la preuve émouvante que son corps fut bien retrouvé et repêché.
Sur cet enregistrement on peut lire :
L’an 1908 à 8 heures du matin, ont comparu …. lesquels nous ont déclaré que hier à deux heures et demi du soir le bateau « Petit-Joseph » de Douarnenez patron Kergaléguen a amérri au port de l’le de Sein contenant le corps d’un noyé recueilli près des rochers du Tévennec et que le premier comparant a reconnu être son père Ropart Allain…
Moment d’émotion lorsque dans le registre voisin, des naissances celui-là, à la même date, se trouve l’enregistrement de la venue au monde de sa petite fille, Yvonne.
Cette histoire n’est pas un roman, mais un fait réel.
Allain Marie était venu sur Tévennec pour remplacer son fils pendant que sa belle fille, mettait au monde à l’Ile de Sein, Yvonne.

La lame sourde porte bien son nom. Elle vous capture, vous enroule et vous étouffe comme une pieuvre sournoise.
Beaucoup d’ouvrages ou d’articles, ont souvent travesti cette histoire pour que je la replace aujourd’hui dans un contexte plus personnel (cf « Feux de mer » de Louis le Cunf).
« C’était la relève … » me dira le médecin de l’île, lorsque m’entretenant quelques instants avec lui sur le quai, peu avant mon départ, je lui racontais l’objet de ma visite à Sein. La petite Yvonne fut probablement la dernière gardienne du phare de Tévennec, car après 1910, il semble que l’île ne fut plus habitée. Mais Yvonne n’est plus là aujourd’hui pour en témoigner.
Une question cependant reste encore en suspend. Le corps de l’aïeul fut-il enterré sur l’île ou ramené sur le continent ?
Vaste question à laquelle il ne m’est pas encore possible de répondre, mais je m’y atèle déjà.

Il existe un autre cimetière sur l’île, celui des cholériques. vestige de l’épidémie de choléra qui frappa la population ilienne en décembre 1885.
Curieuse coïncidence, le cimetière à l’époque se trouvait sur l’emplacement de l’actuelle Mairie. C’est à dire là où je me trouvais au moment des recherches.
Une pensée me traversait alors l’esprit. J’étais peut-être à la verticale de la sépulture de l’ancêtre ? Allez savoir.
J’ai longtemps hésité à faire part de ce témoignage familial. Mais l’article de presse dont je parlais dans mon précédent billet ( Tévennec Enfer ou « New Paradise ») me conforte dans l’idée de partager ce moment de mémoire pour saluer ces valeureux anciens.
– Nul besoin donc, pour moi, d’aller sur Tévennec pour rechercher au plus profond de ma mémoire, ma vérité.
– Nul besoin de résidence d’artiste pour trouver l’objet d’une éphémère créativité.
– Nul besoin de pulsions artificielles pour me faire peur et transcender mon univers imagé.
Les enfers de Tévennec ou d’Armen, à travers les ouvrages que j’ai pu lire depuis mon enfance, je les ai au fil du temps, apprivoisés, domptés au point de les aimer pour les respecter et ne jamais en faire des jouets.
Car depuis ces époques lointaines où les phares étaient encore gardés, entretenus par leurs occupants, j’ai entendu tant de récits d’anciens marins, gardiens de phares, ou sauveteurs en mer, pour comprendre combien ils avaient dû
souffrir, pour simplement exister et survivre.
Ici à Sein, la beauté des paysages ne doit pas cacher la rudesse des lieux car le « caillou », c’est ainsi qu’on le nomme ici, n’est qu’un grain de sable dans un océan Roi.
Ne pas succomber au mythe.
On ne devient pas gardien de phare par fantaisie, pour parler de soi, par poésie, mais pour apporter au monde de la mer, celle qui vous nourrit, protection et survie.
Mais les temps changent. Pour devenir bon manager à présent il faut faire des stages d’intégrations en milieu commando. Pour devenir artiste, créateur, il faut chatouiller le monde de l’extrême, se muer en aventurier, nager parmi les requins, entrer dans l’arène. Bref, pour devenir un homme, oublions vite la poésie de Rudyard Kipling.
Les décideurs de l’époque (années 1920) avaient déjà une très grande grande méconnaissance de ces phares de l’extrême. Ne les considéraient-ils pas comme des lieux de villégiatures dorées, au point de réserver ces emplois aux grandes « Gueules cassés de la Grande Guerre de 14 » ?
Certes il faut se mobiliser pour revaloriser le patrimoine maritime en proie à l’abandon. Transmettre aux générations futures la mémoire des anciens, qu’à notre tour nous devenons nous même, chaque jour un peu plus. Mais notre devoir n’est-il pas de transmettre ce patrimoine intact, avec dignité, pour l’histoire qu’il représente et la mémoire de ceux qui jadis l’on fait vivre et non se l’approprier, en édulcorant le décor pour des raisons parfois folkloriques, voire mercantiles ?
Penseraient-on un instant transformer d’autres lieux de souffrance de l’Humanité, en «show cases», fussent-ils culturel ?
Faut-il, pour exister, céder aux chants des sirènes de la renommée ?
Prenons garde, que les marchands du Temple ne viennent un jour, nous mettre en bouteille les eaux amères de la baie des Trépassés, livrer une deuxième fois le corps de nos anciens au diable.
L’Enfer ce n’est pas le Paradis. Tévennec, encore moins le Paradis Latin, ni le Lido. Mais j’arrête là, car je crois qu’à mon tour je deviens un peu amer.
Remerciements
C’était une belle journée de fin d’hiver, faite d’autentiques et simples rencontres.
Merci à Mr le Maire, Mme Kerloc’h, Ambroise Menou, Eric du André Colin, et tous ces inconnus du moment avec lesquels je me suis entretenu.
Merci pour leur accueil, cela sentait déjà un peu le printemps, une page s’est tournée.
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