En prenant cette photo, il y a plusieurs années, sur le quai du port d’Audierne, je pressentais déjà qu’un monde de traditions maritimes était en train de disparaître. Au delà d’immortaliser les gestes disparus des ramendeurs de filets, cette image ramenait à mon esprit les scènes de rues et odeurs de mon enfance et en particulier cette journée d’automne où un vieil oncle Audiernais, me confiant un moule en bois et une navette en os, m’avait appris à réaliser mes premières mailles de filets, en attachant le précieux fil à l’espagnolette de la fenêtre de sa cuisine.
Les années passèrent. Désormais plus de ramendeurs sur les quais, plus de thoniers au port plus de mauritaniens non plus. Ainsi va le monde de la pêche, sans nostalgie cependant, c’est parait-il ce que l’on appelle le processus logique de la modernité.
Il y a quelques mois, j’allais me promener du côté de l’île de Sein, et, surprise, mon chemin devait à nouveau croiser un autre marin occupé lui aussi à œuvrer sur un filet.
Il s’en suit une courte discussion sur mes intentions de capturer l’instant et d’obtenir l’acceptation de « pêcher » une nouvelle image pour le simple plaisir d’immortaliser le geste et le bonheur de pouvoir encore être en mesure de le partager. Merci à eux d’entretenir cette mémoire.
Installé à Groix depuis 2018, Fabien nous raconte l’histoire singulière d’un travail, qu’il conduit avec l‘Association An Distro(1) : redonner vie au dernier canot à misaine construit à l’île de Groix en 1947.
Fabien Kersaudy et Didier Gloaguen du langoustier Cap Sizun
Cette expérience, qui n’est pas sans rappeler l’histoire de la construction du Langoustier Cap Sizun, est nourrie de la même démarche, celle d’une passion pour les savoirs-faire et techniques ancestrales, et leurs transmissions aux jeunes générations. Tout avait commencé lors de son arrivée sur l’île, où, motivé par un vieux rêve de construire lui-même son propre bateau, il découvrit au fond d’un jardin la carcasse d’un vieux gréement. Très vite la curiosité le poussa à en retracer l’historique.
Intéressé par le défi de refaire une copie à l’identique, le dernier propriétaire, Jean-François Sartre lui confia l’épave et avec l’aide d’amis et de pêcheurs locaux, celle-ci fut soigneusement mise à l’abri dans son atelier au port Tudy afin d’en cartographier la coque, relever soigneusement les côtes et établir les plans précis avant de se lancer dans une nouvelle construction.
Cartographie du Cygne
Cette annexe du GX4682, de construction traditionnelle, réalisée par Mr Henri Yvon en 1947, dernier chantier naval de l’île de Groix, bien que hors d’état de naviguer, représente cependant un capital patrimonial certain, de part son type de construction artisanale et traditionnelle. Epave précieusement conservée par son actuel propriétaire, elle témoigne d’une époque révolue de la pêche locale et fait donc, à ce titre, part de la mémoire maritime de l’île de Groix.
Une complicité s’installe entre Fabien et Charles Stephan, l’un des nombreux anciens propriétaires du Cygne
S’appuyant sur la longue expérience des responsables du musée maritime et avec leur aide académique, Fabien s’est investi dans un long travail de recherches documentaires sur le chantier de l’époque et son illustre propriétaire, concepteur de nombreux bateaux réalisés sur l’île.
Les premiers assemblages du Cygne
Le musée possède en effet dans ses locaux le « Kenavo », côtre construit en 1959, acheté en 1984 par le musée de Groix, restauré par les chantiers Tanguy de Douarnenez avec l’aide de la Fram (Fonds Régional d’Acquisition des Musées). Henri Yvon avait aussi construit « La petite Bebelle », annexe de thonier de 1932 qui se trouve au musée, ainsi que « la Mouette » en 1956 actuellement dans l’enclos du Gripp.
Pour mémoire, Henri Yvon connu sur l’île comme « Jep jep » fut un des derniers charpentiers de marine de Groix. Né sur l’île en 1897, ce fils de patron pêcheur débuta son métier comme apprenti charpentier de 1912 à 1914 puis dans la marine nationale où il continuera de perfectionner sa formation jusqu’à sa démobilisation en 1920, année où il s’établira à son compte pour créer sa propre entreprise. Il avait alors 22 ans.
L’île de Groix, serait-elle une terre d’accueil pour les nouveaux arrivants aux projets audacieux ?
De la marqueterie, à la charpente navale, en passant par la lutherie et l’enseignement, la connaissance et la maîtrise du travail des bois restent pour Fabien, un long voyage initiatique.
MarqueterieLutherieRéalisation d’un motif pour parquet
Diplômé de l’école Boule après des études en marqueterie, un périple de plusieurs années à l’île de la Réunion pour explorer d’autres essences endémiques, puis une formation de luthier-archetier chez un maître luthier dans les Alpes, le retour dans sa Bretagne natale devait naturellement le conduire à s’intéresser à un autre type de construction, celle des bateaux traditionnels. Avant son arrivée à Groix, une solide formation en charpente navale de plusieurs semaines dans un chantier en Finlande allait probablement affûter encore un peu plus son appétit d’entreprendre.
Par ce projet qui le dépasse, puisqu’il l’entreprend comme bénévole et sur son temps libre, cet ancien professeur en ébénisterie aimerait y associer les jeunes et les moins jeunes de l’île. Ainsi est née l’Association An Distro que nous pouvons tous encourager en devenant simples adhérents ou généreux donateurs. Fidèle aux fondamentaux du métier d’enseignant, et probablement aux enseignements de son propre parcourt, Fabien nous dira : «La motivation étant avant tout un moteur essentiel à l’action, j’ai toujours eu comme axe de travail, en tant qu’enseignant, d’intéresser mes élèves à aller au bout de leurs rêves, fussent-ils un peu fou.»
Visite de l’équipage du Cap Sizun
Par cette visite de l’équipage du Langoustier Cap Sizun, d’Audierne, dans son atelier, c’est un clin d’œil amical que Fabien fera en retour (1) à ses racines familiales. Probablement que la fibre maritime et la passion de la marine à l’ancienne sont des notions discrètes qui se transmettent de génération en génération.
Faisant écho au poème d‘Arthur Rimbaud, la présence du trois mâts russe Shtandart au mouillage devant le port Tudy de Groix, me ramène à l’image du petit bistrot du village de Locmaria, que j’avais jadis visité, à deux pas des vestiges de la tombe Viking de Groix.
Symbole des conquêtes guerrières, comme aux temps des vikings, cette réplique d’une frégate russe du XVIII siècle est aujourd’hui mise au ban des nations européennes depuis le conflit russo-ukrainien. Naviguant de port en port, sans pouvoir accoster, sa présence ici symbolise l’errance du voyage et la liberté que la mer apporte aux hommes et aux poètes assoiffés de conquêtes ou d’horizons lointains.
Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes, Et je restais ainsi qu’une femme à genoux,
Presque île, ballottant sur mes bords les querelles Et fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds. Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles Des noyés descendaient dormir, à reculons !
Notre présence dans les mêmes eaux nous permettra de nous approcher du navire emblématique, battant à présent pavillon des îles Cook, et d’en admirer les superstructures en souffrance, aux accastillages vieillissants.
Qui voit Groix voit sa joie, parait-il. Puisse cette proximité maritime, sur la route de l’Amitié, à défaut de réunir les hommes, leur permette un instant de vivre quelques instants de poésie.