Bienvenue à Sein

Ile-Sein-Nov2013

Novembre 2013, Ile de Sein aux paisibles couleurs d’automne …

Pour toi Emilie,
Bienvenue à toi, petit bout de chou,
Bienvenue à toi, sur ce beau caillou.
Certain le pense hostile, à la vie d’un enfant,
Mais quel beau cadeau, que d’être né Sénan.
Quand tu seras plus grande et regarderas Armen
Pense un peu à l’inconnu et à ce phare que j’aime.
Il te protègera des affres de la vie et de ses tourments,
Eclairant ta route comme jadis, celle de tes parents.
Rassurée tu seras par le ballet des dauphins
Recherchant près du Sphinx, la sérénité
Loin des grandes villes et des regards indiscrets
Car il n’y a pas sur terre de plus bel asile,
Qu’un petit bout de Sein, pour hospitalité.

Ile-Sein-Sphinx

L’imperturbable Sphinx veille sur la sérénité ancestrale des Sénans

Autre billet sur cette « Ile du Bout du Monde » (cliquer ici)

Pourquoi ce billet ?

Questionné outre-atlantique, sur le sens de ce dernier billet intitulé «Bienvenue à l’Ile de Sein », je vais tenter de traduire pour mes amis américains l’esprit de ce petit texte dont je ne souhaite garder que l’aspect poétique en restant éloigné de toute polémique.

L’Ile de Sein, pour ceux qui ne la connaissent pas, est une petite île du bout du monde située à quelques kilomètres des côtes bretonnes, à l’extrême ouest de la France. Plus loin il y a le rocher Ar Men et son phare mythique au milieu de l’océan. Plus loin, c’est l’Amérique. Autant dire que cette petite bande de terre, qui ressemble à un atoll polynésien par sa grande platitude, est un lieu où l’air est pur, l’océan parfois sauvage certes, mais toujours familier pour ses quelques habitants. Bref un petit coin de France, où il fait bon vivre et où l’on ne connaît pas ces niveaux de pollutions que la sagesse ilienne laisse aux grandes métropoles.

Pourtant il y a quelques semaines, un jugement des affaires familiales, quelque part dans une grande ville du sud de la France, décide que cette île, « totalement isolée et perdue en plein océan atlantique », serait incompatible avec l’éducation et la vie normale pour des enfants. Par voie de conséquence, une mère se verrait retirer la garde de ses enfants. Mais c’est mal connaître le tempérament rebelle de l’ilienne. Aujourd’hui, une naissance sur l’île vient apporter la preuve que la vie sur le caillou dépasse la logique des hommes de loi qui vivent sur le continent. La dernière naissance à l’Ile de Sein remonterait à 1978. Emilie est bien née sur l’île et pourra même y rester car la petite école vient potentiellement de voir ses effectifs s’accroître de 30 % , encore une logique administrative décidément bien contrariée.

Welcome to Sein Island

Recently questionned about this last post titled « Welcome to the Island of Sein , » I ‘ll try to translate for my American friends the meaning of this little text for which I want to keep the poetic spirit remaining away from any controversy. “Ile de Sein”, for those who do not know , is a small island just a few kilometers from the Britanny coasts in the far west of France . More distant is the rock Ar Men, its mytical lighthouse in the ocean. Farther are the american coasts.
It’s common to say that this little strip of land ( people here call it “the stone”) looks like a Polynesian atoll. With its high flatness it’s a place where the air is pure, the ocean sometimes wild indeed, is still familiar to its few inhabitants. In short, a little corner of France , where it’s pleasant to live and where we do not have the levels of pollution familiar to the large cities. However, a few weeks ago , a justice decision (Family Affairs), from a Law Court, somewhere  in the south of France, decided that this island , « totally isolated in the Atlantic Ocean , » is incompatible with education and normal life for children … » and this judgment deprives a mother custody of her children.
Today , a birth on the island proves that life on earth exceeds the logic of men. A last birth at “Ile de Sein” dates back to 1978. Emilie is born on the island and may even stay because the small school’s effectif is now increasing by 30 %, a new human logic collapse.

Emilie for you,
Welcome to you, sweet little thing,
Welcome to you on this beautiful pebble
Some think hostile to the life of a child,
But it’s a gift than to be born Senan.
When you grow up and look at Armen
Think about it to me cause I love this lighthouse.
It will protect you from the horrors of life and its torments,
Illuminating your path, as formerly that of your parents.
You will be reassured by the ballet of dolphins
Looking near the Sphinx the serenity,
You will be convinced that on this hostile planet
There is not on earth a more beautiful asylum
A little bit of Sein, for hospitality.

De Tévennec à l’île Wrac’h, il n’y a qu’un pas

L’épisode tragique de cette journée du 30 octobre 1908 (voir pages précédentes sur Tévennec) conduira la famille de Henri Ropart à solliciter une nouvelle affectation, moins austère.

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Au premier plan, l’île Wrac’h avec la maison phare. Derrière, le phare de l’île Vierge.

Jeanne Marie nommée gardienne de phare HC (hors catégorie) en 1907 et son mari Henri seront donc les derniers gardiens de Tévennec qu’ils quitteront en décembre 1910, mettant le cap plus au nord dans le pays des Abers.
Le 1 janvier 1911, ils s’installeront sur l’île Wrac’h avec leurs deux enfants.
Henri prendra ses fonctions sur le phare de l’île Vierge à quelques encablures, un peu plus au nord. Pendant que son épouse Jeanne Marie, prendra la garde et la veille sur le petit phare de l’île Wrac’h.

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L’ancien phare, tour carrée de 31 m de haut (1842-1845) et phare actuel (1897-1902), le plus haut phare d’Europe avec ses 82 m.

La petite maison phare ressemble un peu à celle de Tévennec, mais assurément, ici c’est déjà les portes du paradis. Il y naîtra trois autres enfants avant une nouvelle affectation dans la presqu’île de Crozon. Les gardiens de phares sont aussi de grands voyageurs.

Même si pendant longtemps, au dire de certains esprits romantiques, ou naïfs, une vache aurait pris pension à Tévennec pour adoucir la rudesse de la vie quotidienne, ce dont je doute connaissant la topographie des lieux, j’imagine ici la vie plus paisible
Wrach (6)

 La mode aujourd’hui serait, parait-il de remplacer la vache par du cheval.

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Tu seras gardien mon fils
Tel avait été peut-être le message du père Allain, laissé à ses fils. Car Henri avait un frère cadet, Daniel, notre grand-père. A quatorze ans, déjà orphelin de mère et maintenant de père, loin d’être découragé par le métier, il prendra lui aussi le chemin des phares après quelques années de navigation. Mais c’est une autre histoire dont je vous parlerais peut-être dans un prochain billet, car ici, phares riment bien avec Ropart.

Mais revenons un instant à l’île Wrac’h
Si j’ai été un peu caustique dans mes précédents billets sur l’aspect médiatique que suscite l’enfer de Tévennec, j’ai découvert dans un autre article plus récent celui là que les Paradis sont tout de même plus poétiques.
Il me semble en effet qu’aux hommes de bonnes volontés, l’accès au Paradis doit rester sur terre. Et c’est encore plus poétique si cet accès est rythmé par le cycle des marées.

Wrach (4) Wrach-cavaliers

Peu importe le moyen de locomotion, l’île Wrac’h est à portée de pieds,
de pattes ou de sabots …

Wrach-ArtistesDepuis 1994 il n’y a plus de gardien sur l’île Wrac’h mais, grâce au dynamisme discret et efficace d’une association, l’entretien et l’animation artistique des lieux permettent à tous d’en profiter.

Belle démarche solidaire de partage et d’esprit coopératif. Si vous êtes intéressés par le sujet, je vous recommande une petite visite en cliquant ici, sur le site de l’IPPA.
Pas besoin d’hélicoptère, de sous-marin, d’opération commando, ni de débauche de moyens coûteux pour y accéder, simplement ses deux jambes et le respect du rythme des marées.

A bientôt peut-être pour d’autres aventures pharesques … et un clin d’oeil aux poètes en herbe.

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Tévennec, dernière relève, la délivrance

C’est un rendez-vous particulier qui m’attend aujourd’hui.
Une rencontre improbable. Un saut dans le passé mais pas dans l’inconnu tant ces rendez-vous manqués, si souvent reportés, m’ont occupé l’esprit ces derniers mois.

Longtemps dans la mémoire collective, cet arrière grand-père, Allain Ropart, fut considéré comme disparu sur la roche de Tévennec, un matin d’automne 1908.
J’ai retrouvé aujourd’hui, grâce à la consultation des registres d’Etat- Civil en la Mairie de l’Ile de Sein, la preuve émouvante que son corps fut bien retrouvé et repêché.

Extrait-DC-Allain-RSur cet enregistrement on peut lire :
L’an 1908 à 8 heures du matin, ont comparu …. lesquels nous ont déclaré que hier à deux heures et demi du soir le bateau  « Petit-Joseph » de Douarnenez patron Kergaléguen a amérri au port de l’le de Sein contenant le corps d’un noyé recueilli près des rochers du Tévennec et que le premier comparant a reconnu être son père Ropart Allain…

Moment d’émotion lorsque dans le registre voisin, des naissances celui-là, à la même date, se trouve l’enregistrement de la venue au monde de sa petite fille, Yvonne.
Cette histoire n’est pas un roman, mais un fait réel.
Allain Marie était venu sur Tévennec pour remplacer son fils pendant que sa belle fille, mettait au monde à l’Ile de Sein, Yvonne.

Lame-sourde-b

La lame sourde porte bien son nom. Elle vous capture, vous enroule et vous étouffe comme une pieuvre sournoise.

Beaucoup d’ouvrages ou d’articles, ont souvent travesti cette histoire pour que je la replace aujourd’hui dans un contexte plus personnel (cf « Feux de mer » de Louis le Cunf).

« C’était la relève … » me dira le médecin de l’île, lorsque m’entretenant quelques instants avec lui sur le quai, peu avant mon départ, je lui racontais l’objet de ma visite à Sein. La petite Yvonne fut probablement la dernière gardienne du phare de Tévennec, car après 1910, il semble que l’île ne fut plus habitée. Mais Yvonne n’est plus là aujourd’hui pour en témoigner.

Une question cependant reste encore en suspend. Le corps de l’aïeul fut-il enterré sur l’île ou ramené sur le continent ?
Vaste question à laquelle il ne m’est pas encore possible de répondre, mais je m’y atèle déjà.

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Il existe un autre cimetière sur l’île, celui des cholériques. vestige de l’épidémie de choléra qui frappa la population ilienne en décembre 1885.

Curieuse coïncidence, le cimetière à l’époque se trouvait sur l’emplacement de l’actuelle Mairie. C’est à dire là où je me trouvais au moment des recherches.
Une pensée me traversait alors l’esprit. J’étais peut-être à la verticale de la sépulture de l’ancêtre ? Allez savoir.

J’ai longtemps hésité à faire part de ce témoignage familial. Mais l’article de presse dont je parlais dans mon précédent billet ( Tévennec Enfer ou « New Paradise ») me conforte dans l’idée de partager ce moment de mémoire pour saluer ces valeureux anciens.
– Nul besoin donc, pour moi, d’aller sur Tévennec pour rechercher au plus profond de ma mémoire, ma vérité.
– Nul besoin de résidence d’artiste pour trouver l’objet d’une éphémère créativité.
– Nul besoin de pulsions artificielles pour me faire peur et transcender mon univers imagé.

Les enfers de Tévennec ou d’Armen, à travers les ouvrages que j’ai pu lire depuis mon enfance, je les ai au fil du temps, apprivoisés, domptés au point de les aimer pour les respecter et ne jamais en faire des jouets.
Car depuis ces époques lointaines où les phares étaient encore gardés, entretenus par leurs occupants, j’ai entendu tant de récits d’anciens marins, gardiens de phares, ou sauveteurs en mer, pour comprendre combien ils avaient dû
souffrir, pour simplement exister et survivre.

Sein-Fev2013-bIci à Sein, la beauté des paysages ne doit pas cacher la rudesse des lieux car le « caillou », c’est ainsi qu’on le nomme ici, n’est qu’un grain de sable dans un océan Roi.

Ne pas succomber au mythe.
On ne devient pas gardien de phare par fantaisie, pour parler de soi, par poésie, mais pour apporter au monde de la mer, celle qui vous nourrit, protection et survie.
Mais les temps changent. Pour devenir bon manager à présent il faut faire des stages d’intégrations en milieu commando. Pour devenir artiste, créateur, il faut chatouiller le monde de l’extrême, se muer en aventurier, nager parmi les requins, entrer dans l’arène.  Bref, pour devenir un homme, oublions vite la poésie de Rudyard Kipling.

Les décideurs de l’époque (années 1920) avaient déjà une très grande grande méconnaissance de ces phares de l’extrême. Ne les considéraient-ils pas comme des lieux de villégiatures dorées, au point de réserver ces emplois aux grandes  « Gueules cassés de la Grande Guerre de 14 » ?

Certes il faut se mobiliser pour revaloriser le patrimoine maritime en proie à l’abandon. Transmettre aux générations futures la mémoire des anciens, qu’à notre tour nous devenons nous même, chaque jour un peu plus. Mais notre devoir n’est-il pas de transmettre ce patrimoine intact, avec dignité, pour l’histoire qu’il représente et la mémoire de ceux qui jadis l’on fait vivre et non se l’approprier, en édulcorant le décor pour des raisons parfois folkloriques, voire mercantiles ?
Penseraient-on un instant transformer d’autres lieux de souffrance de l’Humanité, en «show cases», fussent-ils culturel ?
Faut-il, pour exister,  céder aux chants des sirènes de la renommée ?
Prenons garde, que les marchands du Temple ne viennent un jour, nous mettre en bouteille les eaux amères de la baie des Trépassés, livrer une deuxième fois le corps de nos anciens au diable.

Tévennec-Fev-bL’Enfer ce n’est pas le Paradis. Tévennec, encore moins le Paradis Latin, ni le Lido. Mais j’arrête là, car je crois qu’à mon tour je deviens un peu amer.

Remerciements
C’était une belle journée de fin d’hiver, faite d’autentiques et simples rencontres.
Merci à Mr le Maire, Mme Kerloc’h, Ambroise Menou, Eric du André Colin, et tous ces inconnus du moment avec lesquels je me suis entretenu.
Merci pour leur accueil, cela sentait déjà un peu le printemps, une page s’est tournée.