Balade de phare en phare (1)

L’été est propice aux retrouvailles familiales, aux rencontres amicales et la complicité entretenue par les grands-parents envers leurs petits enfants étant de nature à quelques confidences, l’occasion m’est offerte de publier une nouvelle série d’articles pour vous reparler de mes phares préférés.
Intitulée « Balade de phare en phare », cette série d’articles est à considérer comme un voyage rétrospectif dans lequel s’entremêlent présent et passé à travers des photos personnelles récentes ou puisées dans les archives familiales.
Inspiré par quelques lectures et des recherches historiques agrémentées de témoignages familiaux, je me suis replongé dans l’atmosphère poétique d’une époque révolue, celle des années folles …

C’était dans les années 1920-1930, quelque part en baie de Morlaix. L’entre deux guerres, période d’insouciance et des premiers congés payés, attirait ici peintres et photographes venus rechercher dans les phares, le Graal de l’originalité.
En prenant connaissance d’un journal de Jacques Henri Lartigue, intitulé “Séjour à l’ile de Batz, été 1920”, je me suis mis à rêver …

Avant qu’à mon tour je ne perde la mémoire, je rassemble, un soir venu, des photos jaunies, sorties tout droit d’une vieille boîte de chaussures et je me remémore les nombreuses histoires et anecdotes qui m’avaient été laissées en héritage tout en projetant avec mes chers petits pirates, une balade en baie de Morlaix, à la découverte du Château du Taureau, et de l’espace maritime où, jadis, vécurent quelques uns de leurs ancêtres.

Déjà, la brume fraîche de cette matinée d’un été finissant, sonne la fin des vacances. Sur la petite cale de Carantec, le bateau qui va nous mener au Château du Taureau arrive enfin. C’est le moment d’embarquer.
Peu de chance que je retrouve ces sensations, qu’un beau matin de 1927, ma mère, quittant les rives de Térénez pour une destination inconnue, éprouva en débutant sa longue et peu banale aventure de vie.

Les touristes sont encore nombreux et le jeune guide, malgré toute la fougue de sa jeunesse, récite une longue litanie ennuyante que personne n’écoute. Remontant aux calendes grecques, il tente de captiver son auditoire en attribuant à chaque roche qui dépasse à fleur d’eau, un passé mythologique difficilement vérifiable.
De plus, la sonorisation criarde et grésillante, amplifiée par le bruit du moteur et le piaillement sympathique d’une colonie de vacance, prive le spectateur de cet état de contemplation digne du recueillement auquel j’aspirais. Le silence, de nos jours, est une vertu qui semble se perdre.

Mais déjà mes petits pirates scrutent l’horizon à la recherche du vaisseau de pierre.

L’ile Louët n’est désormais habitée que quelques semaines par an, par des touristes citadins en mal d’exotisme. Jouer les Robinson sur une île déserte et y faire la fête devient au XXIeme siècle, plus qu’une tendance, un nouveau style de vie.
La luminosité est parfaite pour la photo qui immortalisera notre passage.

A gauche, le château du Taureau, à droite en arrière plan, l’île Noire, habitation dont je ferai dans un prochain billet quelques commentaires rétrospectifs.

Nous arrivons enfin aux portes du château.

Bâtisse initialement construite du XVIème siècle pour protéger les intérêts commerciaux de la cité de Morlaix contre les velléités de nos voisins anglais. L’architecture actuelle est surtout à mettre à l’actif de Vauban qui en décida la reconstruction, celle-ci ayant été mise en œuvre par Jean-Amédée Frézier qui en acheva l’entreprise en 1745.

Passant au fil des siècles du statut  de place forte à celui de prison, de résidence secondaire pour riches fortunés dont les frasques sont encore présentes dans la mémoire collective, à celui  plus paisible, (quoique) d’école de voile dans les années 1960, ce fort est devenu depuis quelques années, l’attraction de la baie de Morlaix et un lieu de visites prisé par les milliers de touristes.

Des remparts du château, on aperçoit l’île Noire, berceau familial, minuscule caillou dont notre jeune guide ne semble trouver aucun intérêt. Cette indifférence me surprend, car pour moi, c’est ici que débute « mon histoire » avec cette nouvelle série de billets …
(à suivre …)

Balade à l’île Noire

Cette balade du 20 février 2015, que j’avais prévue de longue date, car programmée par la grande horloge lunaire, allait s’avérer singulière. Ile-Noire-20-2-15-a L’île Noire, ce petit bout de rochers en baie de Morlaix, qui aurait inspiré Tintin et nourri bien des lectures d’enfants, se présente à nouveau à moi en cette fin de matinée de février.
Le ciel est sombre et menaçant. La marée, d’un coefficient de 118, est donnée pour être l’une des plus importantes du siècle. La mer n’est pas encore tout à fait basse. A droite, on distingue parfaitement le château du Taureau .

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Les ostréiculteurs sont déjà à pied d’œuvre.

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Encore un peu de patience et nous pourrons passer à travers les parcs à huitres.

Une vieille histoire …

Ile NoireJe m’étais déjà rendu il y a de cela quelques années, dans le seul but de repérer les lieux pour une mission que je tenais alors secrète, trouver le temps d’une marée basse, un passage accessible à pieds, pour y conduire ma mère qui enfant y apprit à marcher. (Photo 1930)

Agée de quelques mois seulement, elle viendra habiter cet îlot désert avec ses parents, gardiens de phares, son frère et sa sœur, de juillet 1927 au mois de novembre 1929, date à laquelle la famille partira pour l’île de Batz voisine. Depuis elle n’y est jamais revenue.

Site d’une exceptionnelle beauté
J’avais, par le passé, déjà jeté quelques regards du rivage, pris des photos du côté de Carantec ou de Barnenez, échafaudé quelques plans d’escrocs pour atteindre, à pieds, cette inaccessible étoile. Le paysage ici est si changeant au fil des saisons et des marées que l’on ne se lasse pas de l’admirer. Il faut venir se balader au printemps pour voir de la côte de Carantec l’île Louët et le château du Taureau avec une belle luminosité.
Ile Louet

Ma première virée en solitaire …

Ile SterecLa mer s’ouvrit enfin à moi un beau matin de septembre 2011, l’île Stérec se dévoilait la première, rendant accessible l’estran sur lequel j’amorçais ma traversée, repoussant au fil de ces longues minutes, qui s’égrainaient trop lentement à mon goût, la mer vers le château du Taureau.

Parc-Ile-Noire
Phare-Ile-NoireDe rochers en rochers, à travers les parcs à huîtres, l’eau à mi-mollets, je progressais lentement.
Une petite demi heure plus tard, j’atteignais enfin mon but et me trouvais au pied de la tour carrée.
Oui le ciel est souvent très bleu en Finistère.

Une minute de silence, plongé dans une méditation presque mystique, je n’osais fouler d’avantage les derniers mètres qui me séparaient de l’endroit où quatre vingts ans plus tôt, la petite Yvette posait pour une photo, sur ce caillou que mon regard appuyé fixait comme si j’étais hypnotisé.
Pensant être seul, ma surprise ne fut-elle pas grande d’entendre une voix me demander : « Vous avez repéré quelque chose ? »
Me retournant, j’aperçus un homme d’un âge avancé, un panier en osier à la main, sortir de derrière un rocher.
Plus loin, échoué sur la grève, un petit bateau à moteur, avait probablement déjà déposé, avant que la mer ne se soit complètement retirée, plusieurs laboureurs de sables et “renverseurs” de rochers, calamiteuse horde armée de grattoirs que drainent périodiquement les « grandes marées ».

Ile Noire-1928-Avec le ravitailleur

Ile Noire-1928- Yvette avec le ravitailleur

Déçu d’avoir à partager cet instant de communion, je sortais de ma poche une photo jaunie et la montrais au vieux monsieur. « C’est ma mère, lui dis-je avec une certaine fierté. Cette photo a été prise ici même en 1928. Ici c’est ma roche de Solutré ». L’homme écarquilla les yeux comme s’il venait de découvrir un extraterrestre.

 

Peu enclin à en dire d’avantage, comme perturbé par cette rencontre dérangeante, je m’éloignais, laissant le vieux monsieur à ses occupations, pour m’élancer dans une errance moins terre à terre, contempler les lieux.

amarrage

Château du Taureau

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Mais revenons à aujourd’hui, puisqu’il s’agit d’une une autre histoire.
La météo, en ce vendredi 20 février 2015 est certes moins clémente. Une fois encore, la mer se retirera, sans donner à Yvette l’occasion de revenir s’asseoir dans son fauteuil doré. Mais pour combler cette absence, le hasard de la vie me fera un cadeau compensatoire, celui d’ être accompagné par trois artistes, poètes. Un peintre, un gardien de phare et un complice comédien … mais cela c’est un autre secret que je ne veux partager qu’avec eux …
Preuve s’il en est que ma pêche fut bonne et respectueuse de la nature, je ne ramasserai ni crustacé ni coquillage, mais une moisson de bons moments partagés et ces deux ouvrages que je vous invite très vite à lire, vous découvrirez ainsi le talent de ceux qui m’ont accompagné.

Peche-poétique

A gauche le livre de Louis Cozan, ancien gardien de phares, à droite celui de Ramine, artiste peintre Brestois

Rendez-vous au mois prochain, si vous le voulez bien, pour un nouveau billet …