Balade de phare en phare (3)

Il fait frais et humide en ce matin de juillet 1927, un été pourri comme on dit chez nous et les mois qui suivront n’amélioreront pas le quotidien du nouvel arrivant qui vient de prendre son service sur ce minuscule îlot rocheux de la baie de Morlaix, comme nouveau gardien de phare.

Ile Noire en 1930

La « grande guerre » essaye péniblement d’effacer les stigmates de l’horreur et Charles Lindberg vient de traverser l’atlantique avec son « Spirit Of St Louis ».
L’aviation commerciale naissante annonce les prémices d’un monde nouveau.
Pourtant habitué à scruter le ciel, Daniel voyait déjà d’autres nuages s’amonceler, ceux du bouleversement humain qu’allait occasionner l’aviation, cette rivale du monde maritime. Militant syndical, à la pensée forgée sur les bancs de l’école de la République, cet homme instruit qui avait eu son certificat d’étude en 1905, orphelin de père et de mère dès l’âge de quatorze ans, cultivait sa passion pour les mathématiques. La solitude ronge les esprits fragiles pensait-il, la rationalité de l’arithmétique est un bon remède pour combattre l’adversité et entretenir l’esprit critique. Cette solitude l’accompagnait depuis bien longtemps, depuis qu’il quitta la maison familiale à l’âge de seize ans pour la marine à Lorient, sa nouvelle famille. Baroudant sur les mers du monde, guerroyant contre l’allemand de 1914 à 1919, heureux rescapé de l’enfer des Dardanelles, il posera sac à terre à Brest en 1920 pour se marier,  épousant par la même occasion le monde des phares. Un monde qu’il connaissait si bien, car l’esprit de Tévennec venait encore parfois hanter sa mémoire d’enfant.

Que reste-t-il aujourd’hui en 2017 de l’esprit du Tévennec de 1908 ?

Mais cela est bien connu des marins, la lumière des phares attire les oiseaux épris de liberté au risque que ceux-ci parfois, s’y brûlent les ailes.

Daniel aujourd’hui, seul sur la cale de ce rocher de l’île Noire se sent heureux et libre.
Il contemple la lumière matinale du jour qui se lève sur la baie de Morlaix. Le calme retrouvé lui apporte la sérénité qui l’avait depuis de longs mois abandonné.
Enfin de retour en Bretagne, sa terre natale. Enfin en famille, ou presque, car il attend fébrilement l’arrivée de la barque du ravitailleur.
Ce jour, cependant,  n’est pas comme les autres. C’est celui de l’arrivée du reste de la famille, son épouse, femme au caractère bien trempé, comme toutes les femmes de marins bretons, habituées à gérer le quotidien avec énergie et la petite dernière, qui n’a que deux mois.

Aujourd’hui Armen est abandonné des hommes

Fini l’Armen, donc. L’enfer des enfers. L’effroyable solitude et la peur. Lorsque, comme baptême de gardien de phares, ce phare devint sa première affection – Celle-ci lui avait été proposée pour remplacer un démissionnaire lui même prévu remplacer un gardien disparu, emporté par une lame sous les yeux impuissants de ses camarades – Il en fallait du courage pour reprendre le flambeau.

Eloignés aussi les souvenirs sombres de Tévennec où son frère Henri, dernier gardien en poste sur ce rocher maudit jusqu’en 1910, assista impuissant à la disparition de leur père dans les mêmes circonstances. Dures conditions de vie que celles des gardiens de feux. C’était le 30 octobre 1908, Daniel n’avait alors que quatorze ans et se trouvait à présent seul maître, face à son destin, sa mère ayant déjà quitté ce monde quatre années plus tôt. Il avait alors à peine dix ans.

Il aurait pu haïr à jamais ce monde de solitude, de malheurs, mais fidèle à l’irrésistible puissance de la transmission familiale il se devait, à son tour, de prendre la relève. Cette mission que son père, homme aux grandes convictions lui aussi, dans les périodes troublées de séparations des pouvoirs entre l’église et l’état, lui avait depuis longtemps transmise en héritage. Donc acte, Daniel sera gardien de phare.

Aujourd’hui il est à son tour sur une île déserte, moins hostile bien sûr que celle de l’enfer de la baie des Trépassés. Un petit paradis même, au regard du monde qui l’entoure. Il semble heureux car enfin proche des siens, enfin réunis. Il pourra vivre au rythme des marées, les locataires précédents lui ont laissé une barque qu’il pourra utiliser à loisir pour la pêche et revenir de temps à autre sur le continent comme il est usage de nommer la côte lorsque l’on habite sur une île.

Le clapotis de l’eau annonce l’arrivée de l’embarcation tant attendue.

Après l’amarrage à l’unique anneau rouillé de la cale, le débarquement peut commencer. Jeanne descend la première, le ravitailleur qui pilotait la frêle embarcation tend ensuite avec d’infinies précautions le panier en osier au père impatient de retrouver sa famille. Daniel, ému en regardant sa fille Yvette, emmitouflée dans des langes serrés, ne peut cacher son émotion. Cà y est, les voilà enfin réunis après plusieurs semaines de séparation. Daniel avait pris son service depuis déjà plusieurs jours pour prendre les consignes de la relève, régler les procédures administratives et préparer le logement. Le déménagement fut des plus légers, quelques valises de vêtements et surtout quelques livres, véritable source d’évasion dont Daniel ne saurait se séparer. Pour le reste, les équipements ici sont très spartiates, transmis par les précédents locataires et réduits au strict nécessaire. Les lieux sont humides et peu accueillants et même si c’est l’été, la petite cuisinière en fonte rouillée , placée au centre de la minuscule pièce qui fait office de cuisine, apportera un peu de chaleur aux corps engourdis.
Yvette est enfin arrivée au terme d’un long voyage.

La petite gardienne de phare à l’île Noire – 1928. En arrière plan, le ravitailleur.

Partie depuis plusieurs semaines de la ville de Gravelines dans le Nord de la France où elle est née deux mois plus tôt dans le phare de Petit Fort Philippe, la petite Yvette s’apprête à ouvrir le livre de la transmission familiale avec son arrivée en baie de Morlaix.

L’île Noire, point de départ d’une longue aventure qui débute à peine. C’est sur ce petit rocher d’où elle ne pouvait s’échapper, qu’elle fera quelques mois plus tard ses premiers pas. Découvrant le monde en compagnie des mouettes et des cormorans, elle puisera dans l’air iodé et le goémon de la baie de Morlaix les ingrédients naturels à sa longévité.

La famille resta deux années sur ce rocher, avant un nouveau déménagement, mais ceci c’est pour une autre histoire. (à suivre …)

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Balade de phare en phare (1)

L’été est propice aux retrouvailles familiales, aux rencontres amicales et la complicité entretenue par les grands-parents envers leurs petits enfants étant de nature à quelques confidences, l’occasion m’est offerte de publier une nouvelle série d’articles pour vous reparler de mes phares préférés.
Intitulée « Balade de phare en phare », cette série d’articles est à considérer comme un voyage rétrospectif dans lequel s’entremêlent présent et passé à travers des photos personnelles récentes ou puisées dans les archives familiales.
Inspiré par quelques lectures et des recherches historiques agrémentées de témoignages familiaux, je me suis replongé dans l’atmosphère poétique d’une époque révolue, celle des années folles …

C’était dans les années 1920-1930, quelque part en baie de Morlaix. L’entre deux guerres, période d’insouciance et des premiers congés payés, attirait ici peintres et photographes venus rechercher dans les phares, le Graal de l’originalité.
En prenant connaissance d’un journal de Jacques Henri Lartigue, intitulé “Séjour à l’ile de Batz, été 1920”, je me suis mis à rêver …

Avant qu’à mon tour je ne perde la mémoire, je rassemble, un soir venu, des photos jaunies, sorties tout droit d’une vieille boîte de chaussures et je me remémore les nombreuses histoires et anecdotes qui m’avaient été laissées en héritage tout en projetant avec mes chers petits pirates, une balade en baie de Morlaix, à la découverte du Château du Taureau, et de l’espace maritime où, jadis, vécurent quelques uns de leurs ancêtres.

Déjà, la brume fraîche de cette matinée d’un été finissant, sonne la fin des vacances. Sur la petite cale de Carantec, le bateau qui va nous mener au Château du Taureau arrive enfin. C’est le moment d’embarquer.
Peu de chance que je retrouve ces sensations, qu’un beau matin de 1927, ma mère, quittant les rives de Térénez pour une destination inconnue, éprouva en débutant sa longue et peu banale aventure de vie.

Les touristes sont encore nombreux et le jeune guide, malgré toute la fougue de sa jeunesse, récite une longue litanie ennuyante que personne n’écoute. Remontant aux calendes grecques, il tente de captiver son auditoire en attribuant à chaque roche qui dépasse à fleur d’eau, un passé mythologique difficilement vérifiable.
De plus, la sonorisation criarde et grésillante, amplifiée par le bruit du moteur et le piaillement sympathique d’une colonie de vacance, prive le spectateur de cet état de contemplation digne du recueillement auquel j’aspirais. Le silence, de nos jours, est une vertu qui semble se perdre.

Mais déjà mes petits pirates scrutent l’horizon à la recherche du vaisseau de pierre.

L’ile Louët n’est désormais habitée que quelques semaines par an, par des touristes citadins en mal d’exotisme. Jouer les Robinson sur une île déserte et y faire la fête devient au XXIeme siècle, plus qu’une tendance, un nouveau style de vie.
La luminosité est parfaite pour la photo qui immortalisera notre passage.

A gauche, le château du Taureau, à droite en arrière plan, l’île Noire, habitation dont je ferai dans un prochain billet quelques commentaires rétrospectifs.

Nous arrivons enfin aux portes du château.

Bâtisse initialement construite du XVIème siècle pour protéger les intérêts commerciaux de la cité de Morlaix contre les velléités de nos voisins anglais. L’architecture actuelle est surtout à mettre à l’actif de Vauban qui en décida la reconstruction, celle-ci ayant été mise en œuvre par Jean-Amédée Frézier qui en acheva l’entreprise en 1745.

Passant au fil des siècles du statut  de place forte à celui de prison, de résidence secondaire pour riches fortunés dont les frasques sont encore présentes dans la mémoire collective, à celui  plus paisible, (quoique) d’école de voile dans les années 1960, ce fort est devenu depuis quelques années, l’attraction de la baie de Morlaix et un lieu de visites prisé par les milliers de touristes.

Des remparts du château, on aperçoit l’île Noire, berceau familial, minuscule caillou dont notre jeune guide ne semble trouver aucun intérêt. Cette indifférence me surprend, car pour moi, c’est ici que débute « mon histoire » avec cette nouvelle série de billets …
(à suivre …)