Tévennec, l’enfer vu du ciel

Si j’avais, par le passé, édité quelques billets sur Tévennec, l’île de Sein et d’autres phares peu singuliers, cet article vient en conclusion d’une histoire originale, celle des phares bretons du début du XXème siècle.

They-c

Chapelle St They à la pointe du Van – C’est toujours un spectacle différent.

Sein-b

Ile de Sein – Un temps le « quart de la France » parait-il.

Sein-c

Partie ouest de l’île de Sein … au loin, dans la brume, invisible, la roche Ar Men, puis l’Amérique.

Transmettre la mémoire des anciens, hommes et femmes discrets qui ne choisissaient pas toujours leur métier de gardien de phares par passion mais pour faire vivre une famille ou simplement survivre.
Car la vie dans les phares dans les années 1900-1930 n’était pas une sinécure. Et si parfois certains romanciers ou journalistes de l’époque y allaient de leur plume pour décrire ce monde tourmenté, que certains prétendaient bien connaître, la dureté de vie des gardiens et de leurs familles dépassait la fiction.
Sein-dPaysages mille fois contemplés, tantôt sublimés, tantôt hantés, la lumière en baie des Trépassés – ce nom, à lui, seul est évocateur des lieux – est si changeante que chaque passage me laisse un lot de photographies qui raniment toujours en moi, le souvenir d’histoires familières.

Helico-Tev -b

Phare de la Vieille

Aujourd’hui Tévennec est promis à d’autres destinées. Là où jadis l’homme trimait dur jusqu’à parfois le sacrifice suprême,  pour donner à manger à une famille et veiller sur la sécurité des marins, cette petite maison, sur son rocher, devient l’enjeux de distractions plus légères.

Tevennec-d

Maison de phare de Tévennec . Mémoire à Alain Marie Ropart, gardien intérimaire noyé le 31 octobre 1908. Henri, son fils ainé, sera le dernier gardien jusqu’en 1910 date à partir de laquelle le phare sera automatisé.

Dans ces phares, désormais automatisés et où la présence humaine permanente n’est plus justifiée, nos contemporains, assoiffés de sensations fortes, prendront peut-être plaisir à venir se réfugier, le temps de goûter aux frayeurs d’un passé révolu, dont ils restent nostalgiques.

Une vidéo à la mémoire des gardiens phares, à celle des Ropart

A bientôt, pour un prochain billet …

Balade à l’île Noire

Cette balade du 20 février 2015, que j’avais prévue de longue date, car programmée par la grande horloge lunaire, allait s’avérer singulière. Ile-Noire-20-2-15-a L’île Noire, ce petit bout de rochers en baie de Morlaix, qui aurait inspiré Tintin et nourri bien des lectures d’enfants, se présente à nouveau à moi en cette fin de matinée de février.
Le ciel est sombre et menaçant. La marée, d’un coefficient de 118, est donnée pour être l’une des plus importantes du siècle. La mer n’est pas encore tout à fait basse. A droite, on distingue parfaitement le château du Taureau .

Ile-Noire-20-2-15-b

Les ostréiculteurs sont déjà à pied d’œuvre.

Ile-Noire-20-2-15-NB

Encore un peu de patience et nous pourrons passer à travers les parcs à huitres.

Une vieille histoire …

Ile NoireJe m’étais déjà rendu il y a de cela quelques années, dans le seul but de repérer les lieux pour une mission que je tenais alors secrète, trouver le temps d’une marée basse, un passage accessible à pieds, pour y conduire ma mère qui enfant y apprit à marcher. (Photo 1930)

Agée de quelques mois seulement, elle viendra habiter cet îlot désert avec ses parents, gardiens de phares, son frère et sa sœur, de juillet 1927 au mois de novembre 1929, date à laquelle la famille partira pour l’île de Batz voisine. Depuis elle n’y est jamais revenue.

Site d’une exceptionnelle beauté
J’avais, par le passé, déjà jeté quelques regards du rivage, pris des photos du côté de Carantec ou de Barnenez, échafaudé quelques plans d’escrocs pour atteindre, à pieds, cette inaccessible étoile. Le paysage ici est si changeant au fil des saisons et des marées que l’on ne se lasse pas de l’admirer. Il faut venir se balader au printemps pour voir de la côte de Carantec l’île Louët et le château du Taureau avec une belle luminosité.
Ile Louet

Ma première virée en solitaire …

Ile SterecLa mer s’ouvrit enfin à moi un beau matin de septembre 2011, l’île Stérec se dévoilait la première, rendant accessible l’estran sur lequel j’amorçais ma traversée, repoussant au fil de ces longues minutes, qui s’égrainaient trop lentement à mon goût, la mer vers le château du Taureau.

Parc-Ile-Noire
Phare-Ile-NoireDe rochers en rochers, à travers les parcs à huîtres, l’eau à mi-mollets, je progressais lentement.
Une petite demi heure plus tard, j’atteignais enfin mon but et me trouvais au pied de la tour carrée.
Oui le ciel est souvent très bleu en Finistère.

Une minute de silence, plongé dans une méditation presque mystique, je n’osais fouler d’avantage les derniers mètres qui me séparaient de l’endroit où quatre vingts ans plus tôt, la petite Yvette posait pour une photo, sur ce caillou que mon regard appuyé fixait comme si j’étais hypnotisé.
Pensant être seul, ma surprise ne fut-elle pas grande d’entendre une voix me demander : « Vous avez repéré quelque chose ? »
Me retournant, j’aperçus un homme d’un âge avancé, un panier en osier à la main, sortir de derrière un rocher.
Plus loin, échoué sur la grève, un petit bateau à moteur, avait probablement déjà déposé, avant que la mer ne se soit complètement retirée, plusieurs laboureurs de sables et “renverseurs” de rochers, calamiteuse horde armée de grattoirs que drainent périodiquement les « grandes marées ».

Ile Noire-1928-Avec le ravitailleur

Ile Noire-1928- Yvette avec le ravitailleur

Déçu d’avoir à partager cet instant de communion, je sortais de ma poche une photo jaunie et la montrais au vieux monsieur. « C’est ma mère, lui dis-je avec une certaine fierté. Cette photo a été prise ici même en 1928. Ici c’est ma roche de Solutré ». L’homme écarquilla les yeux comme s’il venait de découvrir un extraterrestre.

 

Peu enclin à en dire d’avantage, comme perturbé par cette rencontre dérangeante, je m’éloignais, laissant le vieux monsieur à ses occupations, pour m’élancer dans une errance moins terre à terre, contempler les lieux.

amarrage

Château du Taureau

cour-du-phare

port-terenez

peche-crevette

Mais revenons à aujourd’hui, puisqu’il s’agit d’une une autre histoire.
La météo, en ce vendredi 20 février 2015 est certes moins clémente. Une fois encore, la mer se retirera, sans donner à Yvette l’occasion de revenir s’asseoir dans son fauteuil doré. Mais pour combler cette absence, le hasard de la vie me fera un cadeau compensatoire, celui d’ être accompagné par trois artistes, poètes. Un peintre, un gardien de phare et un complice comédien … mais cela c’est un autre secret que je ne veux partager qu’avec eux …
Preuve s’il en est que ma pêche fut bonne et respectueuse de la nature, je ne ramasserai ni crustacé ni coquillage, mais une moisson de bons moments partagés et ces deux ouvrages que je vous invite très vite à lire, vous découvrirez ainsi le talent de ceux qui m’ont accompagné.

Peche-poétique

A gauche le livre de Louis Cozan, ancien gardien de phares, à droite celui de Ramine, artiste peintre Brestois

Rendez-vous au mois prochain, si vous le voulez bien, pour un nouveau billet …

Tévennec, dernière facétie.

Si le rocher de Tévennec a beaucoup nourri l’imaginaire des romanciers et de certains journalistes avides de sensations fortes, il a aussi probablement marqué de façon durable les esprits plus ordinaires des enfants et petits enfants de gardiens de phares.

Tevennec-1412Tévennec vue de l’île de Sein.

Les contes et légendes, qui berçaient jadis leur enfance, se métamorphoseront au fil des ans, en révélations plus conformes à la réalité de leur “histoire familiale”.
De cet héritage, fait de mots et d’images sublimées souvent, apparaîtra alors une vérité bien différente, plus rugueuse mais combien plus belle, car si intime.
La réalité du passé familial se trouve alors confrontée à des histoires romancées, des vérités revisitées par des mémoires imprécises. Un travail s’impose alors pour mieux transmettre le précieux héritage aux générations suivantes.
J’avais publié dans un précédant article, intitulé “Tévennec,dernière relève,la délivrance”, l’histoire de cet aïeul, gardien de phare, emporté par une lame sur le rocher de Tévennec, dans cette mythique baie des Trépassés, en terre bretonne.
J’étais alors resté sans réponse concernant le lieu d’inhumation du corps, nourrissant les hypothèses les plus improbables puisqu’en 1908, le cimetière se trouvait à l’emplacement de l’actuelle mairie de l’île de Sein, lieu à partir duquel je puisais ces  précieux renseignements.
Après quelques mois d’investigations, des recherches dans diverses archives, je devais compléter mon enquête et apprendre que le corps, dans un premier temps repêché, puis ramené sur le “caillou de Sein”, avait été, dès le lendemain, acheminé à Audierne où de bien étranges et rocambolesques obsèques furent organisées le jour de la Toussaint, c’est à dire le 1er Novembre 1908.

Un peu d’histoire, la crise sardinière des années 1900.
Le contexte historique de l’époque aidera peut être le lecteur à comprendre ce qui suit.
Nous sommes en 1908. La crise sardinière qui sévit depuis 1903 à Audierne, Douarnenez et plus généralement dans la majeure partie des ports de pêches du Finistère, plonge la population dans une profonde misère.
A la famine qui sévit, le prix du pain qui flambe, les faillites de commerces, le chômage, s’ajoute un climat social des plus tendus du fait de la loi qui se profile autour de la question religieuse. En effet, l’année 1905 sera marquée par l’adoption de la loi relative à la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
De nombreux affrontements entre partisans et adversaires accentueront les clivages sociaux sur fond de misère et de pressions cléricales.
L’irrationnel est à son paroxysme. Certains membres du clergé allant vilipender des pêcheurs peu enclin à fréquenter l’église en leur expliquant que leurs comportements seraient seuls responsables de l’abandon des bancs de sardines sur nos côtes.
Pas étonnant que le message passe mal chez ces pauvres pêcheurs et que certains voient rouge. L’aïeul Alain Marie devait être de ceux-la.
Alors viennent les temps des blasphèmes pour les uns et des réactions partisanes pour les autres qui voient dans la noyade du marin incroyant le fatal résultat d’un châtiment divin.

Rétablir une vérité.
L’article du Progrès du Finistère, en date du 7 novembre 1908 m’apporte un éclairage nouveau sur ce dramatique fait divers.

Article-Progres-Nov1908Par ailleurs, comme si le malheur n’était pas suffisant, quelques écrits et récits fantaisistes raconteront plus tard qu’à la noyade de ce Ropart (que l’on doit écrire avec un T et non un S ou un Z), s’ajouta le décès de la petite fille qui venait de naître sur l’île au moment du drame.
En réalité, la petite fille née à l’île de Sein, vécut encore 85 ans. On est donc loin de la légende.
Quant à cet ancêtre, au caractère bien  trempé, c’était aussi un « Artiste », aux dires de la famille.
A n’en pas douter à la lecture de cet article. Pour un anticlérical, finir ainsi sa vie, un jour de Fêtes des Morts et se voir contraint de passer par l’Eglise, tient de la farce théâtrale, quelle belle sortie de scène !

Ceux qui envisagent d’investir Tévennec pour le transformer en
« Résidence d’artistes » ont à présent matière à méditer.

 Tevennec-1412a

A bientôt pour de nouvelles aventures …

Précédents épisodes
Tévennec, Enfer ou « New paradise ? »
Tévennec, la dernière relève, la délivrance
De Tévennec à l’ïle Wrac’h, il n’y a qu’un pas …
Sein, une île du bout du monde
Bienvenue à Sein